" L'Atelier en Pièces ", privé de la présence envoûtante de Benjamin Massé Le Centre chorégraphique national de Montpellier vient de donner huit représentations de " L'atelier en pièces ", au gymnase du lycée Saint-Joseph, dans le cadre de la programmation officielle du Festival d'Avignon. Le bouche à oreille fonctionnant à fond à propos de cette ouvre frappante et dérangeante, il a vite fallu refuser du monde à l'entrée de la salle. Mais ceux qui connaissaient déjà la pièce, créée à Brest début avril, puis lancée à Montpellier en mai, se sont surtout intéressés à un changement considérable survenu dans les conditions de représentation du spectacle : en effet, pour des raisons purement familiales, le jeune Benjamin Massé-Lassaque a dû renoncer à évoluer sur le plateau. Or il y tenait un rôle très particulier. EXPERIENCE INOUIE " L'atelier en pièce ", parle de la folie. A la lumière d'un contact direct avec l'univers psychiatrique (via des ateliers auprès de patients de la Colombière), les danseurs y provoquent les remous profonds de la déraison, qui hantent chacun de nous. Benjamin Massé-Lassaque est, lui, un jeune autiste ; au milieu de l'austère dispositif des danseurs professionnels, il s'engageait avec une présence étonnamment libre, insolite, et franchement heureuse au bout du compte. Le jeu de miroir était intensément troublant, entre d'une part la sécheresse de l'extrême souffrance morale explorée par les artiste, et d'autre part le foisonnement d'électron libre qu'incarnait leur hôte : " au bout d'un moment, la présence de Benjamin dans le groupe nous remettait tellement en cause dans nos fonctionnements rigoureux et exigeants, que finalement il a su devenir incontournable, au cour même de notre travail " attestait Herman Dephuis, l'un des danseur. Indisponible, Benjamin Massé-Lassaque a donc été remplacé par un acteur, Mathias Jung, qui n'a disposé que de quelques jours pour se couler dans son personnage : " une expérience inouïe qui ne ressemble à rien de ce que j'avais déjà connu ", confiait le comédien. " il m'a fallu travailler l'imprécision et le flou, l'inintelligibilité de la diction, tout l'inverse de l'extrême précision habituellement requise. C'est aussi un rôle solitaire au milieu des autres, renforcé par le fait que je sois acteur de théâtre au milieu de danseur ! " ECRITURE FORTE La problématique artistique ainsi ouverte pouvait sembler vertigineuse - entre l'authentique et le simulacre entre la " folie " réelle et son " imitation ". Pourtant, elle s'est considérablement simplifiée une foi sur le plateau. La fonction du spectateur n'est pas de s'immerger dans les développement internes à la vie du spectacle. Or au moment qui compte, celui de la représentation, aucun contre-sens, ni même glissement de sens, n'est apparu dans la perception de l'ouvre. C'est dire la qualité du travail du comédien, mais aussi, selon la chorégraphe Mathilde Monnier " la qualité d'écriture de la pièce, suffisamment forte pour traverser les interprètes, et passer outre un changement parmi ces derniers ; même si ce changement est aussi considérable que le passage d'un rôle d'un autiste à un comédien professionnel ". Voilà un éclaircissement de taille, qui à rejailli d'une certaine façon à l'occasion du débat organisé par le quotidien " Le Monde " au collège Saint-Louis. Car là encore, la chorégraphe montpelliéraine a eu l'occasion de remettre les pendules à l'heures, faces à l'engouement spy soulevé par le spectacle : " qu'un artiste mette le nez dans ce domaine qui fascine tant de personne, provoque quantité de confusion. Il me faut donc expliquer qu'il ne s'agit pas d'une pièce a visée thérapeutique. Ni d'une pièce militante sur le sort des fous. Il s'agit d'une recherche sur le mouvement, sur le geste comme signe, comme langage, comme exploration de l'humain ". Il s'agit d'un geste d'artiste.

Gérard MAYEN
Midi Libre
21 Juillet 1996