Duo pour un clown à deux têtes au bord de la crise de nerfs

   

Ce sont deux fausses soeurs jumelles, l'une blonde, l'autre rousse, danseuses contemporaines, qui ont décidé de se marrer, de lâcher enfin les chevaux bridés par des années d'ascèse physique et intellectuelle. Evidemment, le comique n'est pas leur ressort principal, mais elles y mettent du leur et finissent par s'exploser dans un violent feu d'artifice verbal sur le thème de la femme.

Mathilde Monnier, directrice du Centre chorégraphique de Montpellier, et Maria La Ribot, Espagnole basée à Genève, connue pour ses performances délurées, ont inventé Gustavia. Ce duo pour un clown à deux têtes tente de questionner le burlesque au féminin en se prenant les pieds dans le tapis (évidemment !).

Gustavia, présenté jeudi 3 juillet au Théâtre Grammont, est l'une des pièces qui clôture le festival Montpellier Danse. Avec une quinzaine de créations (sur 27 spectacles) et 53 représentations au total, cette édition 2008 de la manifestation a rassemblé 30 500 spectateurs et atteint 410 000 euros en billetterie, soit une augmentation de 25 % par rapport à l'an dernier.

A raison de 96 % de taux de remplissage, un très joli coup artistique et économique, que Jean-Paul Montanari, le directeur, qualifie "d'une des plus belles éditions qu'il ait vécues depuis quelques années".

Régulièrement à l'affiche du festival, Mathilde Monnier affûte avec Gustavia un talent théâtral qui colle à son profil tranchant. Plus plastique que comique néanmoins, ce numéro de duettistes, entre danseuses échappées du zoo et gogo girls obsédées du genou, séduit d'abord par son élégance.

Dans un écrin de tissu noir, la blancheur des bras et des jambes des deux femmes en justaucorps noir accroche l'oeil et la lumière. Ce contexte décalé métamorphose les quelques gags burlesques du spectacle (peu nombreux tout de même) en mécaniques abstraites, voire parfois en tics corporels.

UN BURLESQUE ÉVIDÉ

Déplacé hors des films de Chaplin ou de Keaton, cités parmi les sources d'inspiration de la pièce, le coup de la planche sur l'épaule, qui claque la tête de la personne derrière, fait ici curieusement sourire par sa gravité. Mais la chute lente comme un évanouissement de Mathilde Monnier, estourbie une bonne vingtaine de fois par sa collègue, vire au disque rayé.

Le comique de répétition est l'une des clés de Gustavia. A outrance malheureusement. Au point que la drôlerie immédiate d'une situation se déballonne sans virer au tragique pour autant. Trop étiré dans le temps (sur une heure seulement pourtant), Gustavia donne la sensation d'un burlesque évidé comme un tronc creux.

Et pourtant, le choc des gags contre le cadre noir du théâtre et certains de ses stéréotypes (comme Hamlet, par exemple), donne des accents acides aux tirades pourtant aussi éculées que les sketches. Dans ses habits noirs, Gustavia tire définitivement un trait sur l'innocence et la joie de danser. Pièce de deuil, duo en deuil, le clown a mis masque bas et fait feu sur les fantômes.

Différentes hypothèses surgissent devant Gustavia. Des danseuses se sont trompées de studio de répétition et se plantent dans un film qui ne leur est pas destiné. Ou bien, elles font un cauchemar de reconversion et s'en prennent plein la tête. Ou encore, les filles viennent d'enterrer un proche et se payent un fou rire lors de la troisième mi-temps bien arrosée en famille...

Pour ces pistes enchevêtrées, Gustavia, entre larmes de crocodile et hululement hystéro, sur la pente de la crise de nerfs, est une curiosité.

Le spectacle sera à l'affiche du Centre Pompidou, à Paris, du 15 au 26 octobre, dans le cadre du Festival d'automne.

Rosita Boisseau
LE MONDE | 05.07.08