Entre rire et sexe, Maria La Ribot et Mathilde Monnier dépeignent leur rapport au féminin dans un duo plein d’autodérision.

Recouverte de draps de velours noirs, comme un écrin, la grande salle du Centre Pompidou accueille le duo Monnier/ La Ribot. Dès les premières minutes, le ton est donné : il s’agit d’une pièce légère et distanciée, où le rire prévaut sur l’émotion. Pendant près d’une heure, les deux femmes vont éprouver les éléments qui composent traditionnellement  le cadre de lareprésentation spectaculaire (décors, accessoires, costumes, entrées et sorties de scène, exhibitions des corps, ostentations des gestes), plutôt que de s’affronter l’une l’autre.

Auteurs majeurs de la scène chorégraphique contemporaine, Mathilde Monnier et Maria La Ribot semblent donc œuvrer conjointement afin de composer un portrait hybride de femme, Gustavia, figure hantée par le sexe et la mort. Cela débute par une scène de pleureuses, que les deux femmes campent avec outrance et malice, citant Shakespeare, dès lors ridicule. Préalable nécessaire au rire, le drame est ainsi court-circuité, moqué, et la mort mise à distance, reléguée jusque dans les coulisses et le hors-scène. S’ensuivent des clowneries, des chaises que l’on retire au dernier moment, des démonstrations de force — biceps que l’on bande, équilibre que l’on teste. Tout cela entrecoupé d’instants punks, où l’une ou l’autre s’étende sur le sol, jambes écartées, bassin en rétroversion, tête relevée pour pousser un cri rageur, hystérique, au milieu d’une musique électronique toute en déstructuration du genre de celles produites par le label Warp.

Mises bout à bout, ces figures composent un magma étrange, d’où jaillissent parfois de jolis moments de danse, mais qui tirent surtout leur intérêt de la façon dont elles actualisent et questionnent les mécanismes du rire. Ainsi la répétition d’un geste, d’un gag, censée provoquer le rire par l’absurdité de son bégaiement, est poussée si loin dans Gustavia qu’elle semble opérer comme une force d’évidemment. Le temps du burlesque cède la place au redondant voire à l’ornement ; variations et déclinaisons d’un motif déclamé en phrases, conjugué sur tous les temps, avec des accents étranges capables de provoquer des mutations de sens.

Tout cela resterait anecdotique si les deux femmes n’avaient pas en tête ce projet commun : travailler avec et sur la représentation de leur corps. De fait, lorsqu’elles dévoilent de manière compulsive leur genou, c’est toute une histoire de la mode féminine qui semble surgir à la vue de cette articulation. Réitérant ce geste avec une sorte de frénésie, la répétition permet cette fois-ci non de faire rire, mais de rendre la monstration obscène, dérangeante. Il nous renvoie aux théories de Coco Chanel sur la longueur appropriée des jupes, ainsi qu’à toute une littérature de bonnes manières à laquelle la femme est supposée se soumettre… D’ailleurs, quelques minutes plus tard, la pièce s’achève sur une double déclamation, une improvisation autour de la "Femme", ses fesses, son ventre, son ménage, son cou, son âge :  bref, tous les clichés qui l’encombrent autant qu’ils la façonnent. Ce final, où l’on voit les deux artistes se décharger du poids de leur genre, éclaire la pièce comme un magnifique feu d’artifice.

paris-art.com
sophie grappin-schmitt
27/10/2008