"Dans les années 70-80, on lâchait tout pour devenir danseur. Maintenant, les stagiaires font presque tous quelque chose ailleurs." Mathilde Monnier es fenêtres du studio Bagouet sont grandes ouvertes sur la rue. En bas, les piétons peuvent suivre grâce à une retransmission vidéo ce qui se passe à l'intérieur des Ursulines, ancien couvent entièrement dévolu à la danse. Contre 5 euro, le public se retrouve au cour de la formation du danseur et de la création. Multi-materials est une pièce qui pose, expose et met en jeu un ensemble de matériaux chorégraphiques accumulés au cours de l'année par les quinze pensionnaires du Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc-Roussillon (CCN). Clope au bec. C'est un bonheur que de voir ces jeunes gens - ils ont tous moins de 27 ans - se coltiner le regard du public, faire ouvre collective et s'essayer au solo. Pendant une heure, ils ne vont pas arrêter de courir, parfois clope au bec, parfois en allongeant la foulée. La course, c'est simple comme bonjour, mais à partir de ce vocabulaire commun, les danseurs tracent des dessins dans l'espace, des trajectoires, des destinations. Ils travaillent aussi le rythme et libèrent une énergie peu banale dans ce qui apparaît déjà un propos chorégraphique, amplifié par des phrases solistes (une danseuse qui s'emmêle les pinceaux, une autre, immobile à la fenêtre), et par des duos (dont un qui s'écrase contre un mur). Après six mois passés ensemble avec divers chorégraphes, ils forment d'emblée une compagnie. Pourtant, leurs CV sont des plus variés. Yannick Guedon est baryton. La Libanaise Alia Hamdam poursuit des études de philosophie. Rachid Sayet est plasticien, etc. "C'est étonnant, remarque Mathilde Mon nier, directrice du CCN. A notre époque - les années 70/80 - on lâchait tout pour devenir danseur. Maintenant, ils font presque tous quelque chose ailleurs." Depuis six ans qu'elle a mis en place la formation "ex.e.r.ce", c'est la première fois qu'elle propose une pièce en fin de stage. On découvre ainsi qu'ils ne sont pas seulement des techniciens, mais se positionnent déjà dans la création et la composition. L'an dernier, Mathilde Monnier a arrêté sa compagnie : "La formation est devenue le cour du centre. Ces danseurs sont mon lien avec le monde d'aujourd'hui." En mettant en place "ex.e.r.ce", une formule assez souple pour s'adapter aux besoins au fil des ans, la chorégraphe n'a pas voulu d'une école avec un programme fixe, ni de professeurs permanents. Il s'agit plutôt de placer l'interprète en phase directe avec des propositions artistiques. Chaque chorégraphe ou danseur enseignant vient avec un projet. Cette année, Luis Ayet a instauré des ateliers dits "intempestifs", aux horaires inhabituels, afin de faire émerger des états de corps opposés. Laurent Pichaud a réfléchi sur la perception de la danse quand un corps ne danse plus. Mark Tompkins a travaillé sur la composition instantanée. Michèle Rust s'est concentrée sur le solo... Sereine. De toute évidence, cela fonctionne, si l'on se réfère à la façon dont chacun tient la scène et développe sa propre personnalité dans Multi-materials. Ayelen Vanina Parolin (25 ans), qui a fait ses études en Argentine et poursuit aujourd'hui son cursus en France et en Belgique, est incroyablement concentrée, avec un petit air de ne pas y toucher. C'est un grand moment de danse qu'elle offre, sereinement, sans tension ni prétention. Elle n'est pas la seule, mais on n'a pu la quitter des yeux. Les postulants ne s'y trompent pas. Il y a eu 180 demandes, une première sélection sur dossier, puis une audition et des entretiens faits par Mathilde Monnier et Catherine Hasler, chargée de l'enseignement. Une formation qui répond aux besoins de la nouvelle génération et qui fait école, bien qu'elle n'en soit pas une.

Marie-Christine VERNAY
Libération
Mardi 2 JUillet 2002