Mathilde Monnier explore les secrets de Merce Cunningham et l'alcôve du sexe Avec " Signé, signés ", la chorégraphe réussit un diptyque audacieux autour de la solitude de l'interprète. L'allure franche avec laquelle Mathilde Monnier attaque sa pièce Signé, signés en dit long sur la détermination avec laquelle elle prend chaque jour son métier à la gorge. Pour ce diptyque, la chorégraphe s'attaque à deux thèmes costauds : l'influence de Merce Cunningham et la sexualité. Elle est heureusement bien entourée par sa scénographe Annie Tolleter, son créateur de lumières Eric Wurtz, le vidéaste Karim Zeriahen et le DJ scratcheur eRikm, qui fait couiner et hululer ses vinyles comme un beau diable. En 1984, Monnier était boursière chez Cunningham, à New York, avant de devenir l'élève de la danseuse " cunninghamienne " Viola Farber à Angers. Signé se penche sur ces expériences de jeunesse. Avec cinq interprètes hors pair (Dimitri Chamblas, Bertrand Davy, Herman Diephuis, Rémy Héritier, Joel Luecht), elle a appris des duos chorégraphiés du maître et laissé agir le temps, le tempérament de chacun pour faire advenir une gestuelle volontairement mal dégrossie et néanmoins éloquente. Travail d'observation du geste dans ses plus minuscules rouages, cet exercice de réappropriation dépouille le mouvement jusqu'à donner l'impression d'une plongée à son origine. Osé et à double détente D'où vient la danse ? Où commence-t-elle ? Comment ça marche ? Cette analyse presque pied à pied, vertèbre après vertèbre, dit la force de l'abstraction, sa charge de beauté sans explication. Accompagné par les sifflements d'oiseaux (une belle installation de cages et d'écrans vidéo occupe un quart du plateau), Signé ferme le rideau sur les danseurs s'escrimant chacun dans leur coin à percer le secret du geste, sa nécessité et sa perte dans l'éternité de la répétition. Cette solitude de l'interprète clôt aussi la seconde partie du programme : Signés, sur le thème de la sexualité. En scène : quatre danseurs. La chorégraphe avait originellement conçu sa pièce pour quatre hommes et deux femmes. Trois semaines avant la première, les deux danseuses ont dû abandonner le projet. Mathilde Monnier a pris le parti d'assumer la nouvelle donne. Affaire délicate. La disparition de l'élément féminin biaise évidemment le sujet. De quelle sexualité est-il question ? De celle de l'homme ? De l'homme sans femme ? De l'homme entre hommes ? Du danseur ? Astuce intelligente que celle d'aiguiser sa problématique sur les liens entre la danse et le sexe. Qui n'a pas expérimenté la charge érotique d'un danseur moulé dans son collant ? Quoi de plus masturbatoire que la répétition du même geste (mouvements de ciseaux des jambes en position allongée par exemple), de plus orgasmique aussi (on sait l'excitation physique et mentale provoquée par l'exécution de certaines figures). Sans compter la quête de jouissance que suggère cette attention forcenée au corps, ce décryptage des sensations qu'exige l'entraînement. Sur ce terrain, une scène hilarante met aux prises un garçon affalé sur son partenaire qu'un troisième larron vient asticoter d'un exercice de respiration très " on est là pour se faire du bien ". Tout en suivant du doigt le trajet de l'air à l'intérieur du corps de l'autre, il finit à l'anus avec des " Ouais, ouais, ouais " qui n'ont pas besoin de traduction. C'est osé et à double détente, parfaitement dans l'esprit de Mathilde Monnier. Car s'il y a beaucoup de grands écarts dans ce spectacle, de mains au panier et de gants caoutchouc qui font " splirch ", il y a aussi une bonne dose d'humour acide qui troue les séances les plus directes de façon que le spectateur se tienne toujours à bonne distance. Sans doute le regard de femme réfractaire à tous les clichés qu'est Mathilde Monnier explique-t-il cette réserve qui n'est pas pudibonderie. La chorégraphe réussit la gageure de parler de sexe sans y toucher, d'être crue mais toujours propre sur elle. La scénographie d'Annie Tolleter -une large bande de latex qui barre le plateau comme un carré blanc symbolique- signale la difficulté, voir l'impossibilité de lever le rideau sur ce qui est encore un tabou. Ne connaît-on jamais la sexualité de l'autre qu'à travers le trou de la serrure ?

Rosita BOISSEAU
Le Monde
Samedi 24 Mars 2001