A la Maison de la danse de Lyon, Guy Darmet accueille le ballet de l'Opéra municipal avec trois créations. On attendait surtout Monnier-Duroure ; c'est William Forsythe qui force l'enthousiasme. Après son triomphe new-yorkais, le Ballet de l'Opéra de Lyon a le vent en poupe. La troupe, électrisée, est prête à se lancer dans les paris les plus fous. Sa directrice, Françoise Adret, n'entend pas laisser retomber cette euphorie et présente à la Maison de la danse un programme _ également créé à New-York _ qui a permis aux danseurs de se montrer à visage découvert après leurs performances masquées dans la Cendrillon de Maguy Marin. Très attendu, Mama Sunday, Monday and Always est l'adaptation par Mathilde Monnier et Jean-François Duroure d'un duo, Extasis, qui les propulsa à la pointe de la jeune danse française. Ils sont quatre couples, saisis dans la lumière de projecteurs de studio, à jouer de l'ambiguité de tutus frissonnants sous l'imperméable mastic, à se balancer sur leurs jambes demi-déployées comme des samourais en goguette, à plonger dans le tulle mousseux sur des airs rugueux de Kurt Weill. Après ce début fracassant, une danseuse en voile et collant chair se multiplie par quatre. Mais déjà l'énergie s'est diluée. Perdus le mordant, la cruauté, l'hystérie des corps. Perdue l'émotion. Mais pouvait-il en être autrement ? Extasis, ce fut le sursaut vital de deux danseurs en rupture de compagnies, lui transfuge de chez Pina Bausch, elle de chez Verret, échappés à leurs démiurges, se libérant dans une création urgente, irrépressible. Cette fièvre existentielle, ce désir de se projeter en tous sens, de faire l'ange et la bête, supporte difficilement d'être reproduit de l'extérieur, même par une troupe bien intentionnée. Le mordant, la cruauté, l'énergie brute se sont retrouvés ailleurs, dans le Septext de William Forsythe. Sur un plateau d'une blancheur assassine, des danseurs vêtus de noir puis une fille en collant rouge bougent les bras selon une gestuelle précieuse. Deux des garçons esquissent un pas balancé baroque interrompu par la danseuse. Un adage au graphisme pur commence, coupé net par une fêlure de la musique, et l'ambiance tourne à la corrida. Mais chez Forsythe rien n'est gratuit ni abstrait. Ses rapports asymétriques entre les danseurs (1+2, 1+3) _ que l'on trouve aussi chez Gallotta, _ les cassures du mouvement, les éclipses de la "chaconne" de Bach, suggèrent un univers mental perturbé. Sepxtext permet de saisir la démarche d'un chorégraphe américain de trente-huit ans, aujourd'hui directeur de la danse à l'Opéra de Francfort, qui, par l'audace de son écriture (bien dans la suite de Balanchine) et son hypersensibilité, ouvre des perspectives nouvelles au ballet. Après une telle stimulation servie par la performance de l'interprète Pascale Michelet, le traitement de la Symphonie en trois mouvements de Stravinski, par Nils Christie, "un pur produit hollandais", parait sans relief. Cette danse de prêt-à-porter sur patron standard parait bonne tout au plus à assouplir la compagnie.

Marcelle MICHEL
Le Monde
13 Mars 1987