Mathilde Monnier & La Ribot, duo burlesque jusqu’au vertige

Les deux chorégraphes s’associent le temps d’une créatio, « Gustavia ». A voir à Montpellier, puis à Genève. Rencontre.

La chorégraphe et danseuse Mathilde Monnier, aime les collaborations avec des artistes transversaux. Après notamment le chanteur-compositeur à la pop vénéneuse et acidulée, Philippe Katerine, elle crée un duo, Gustavia, aux côtés de la Madrilène La Ribot, performeuse et chorégraphe surréaliste. La création explore les codes et stratégies du « burlesque » sui hantent le cinéma, de Chaplin à Nanni Moretti. Mais aussi la scène et la performance. A découvrir dans le cadre du Festival Montpellier Danse du 2 au 4 juillet, avant son passage à la Comédie de Genève en mars 2009.
Le « burlesque », un mot emprunté au théâtre italien du XVIe siècle, est à l’origine une caricature sans discours moral, une distorsion de la réalité. Les shows des filles, qu’on appelle bientôt « strip-tease » alternent avec des numéros comiques. Avec Gustavia, le burlesque se veut aussi une stratégie et une trajectoire de survie, voire de réflexion sur la condition et l’expérience d’artiste. Rencontre avec un tandem complice.

Avez-vous cherché à renouer avec l’esprit des origines du burlesque ?
Mathilde Monnier : Nous étions intéressées par l’analyse des procédés, des opérations des scripts corporels à l’œuvre dans le burlesque. Car ici, le burlesque se situe dans un entre-deux, à mi-corps entre le cinéma et la scène. Nous sommes confrontées à des numéros physiques qui sont filmés. Les interprètes évoluent sur un plateau selon plusieurs registres. Mais en  réalité, c’est un autre corps qui nous intéresse dans le burlesque. Celui où s’inscrit la relation intime, plurielle, polysémique entre le comique et le tragique.

On peut retrouver dans Gustavia le personnage keatonien ou lloydien qu’incarne La Ribot dans ses Pièces distinguées.
M. M. : C’est le point commun où pouvaient se retrouver une performeuse et vidéaste et une chorégraphe-danseuse. A l’inverse du clown, le burlesque ne suscite pas beaucoup de mimiques ou de grimaces. Ce sont plutôt des masques faits de visages impassibles à la Buster Keaton. Dès lors, le corps parle bien davantage.

Le burlesque, c’est aussi la mise en mouvement d’une parole souvent muette.
M. M. : Loin d’être taiseuse, la parole du spectacle circule entre les interprètes. C’est une adresse directe au public. Une manière de dire des choses sur le spectacle en trains de se faire, ses composantes, sur la figure de l’artiste dans le champ de la société, son statut en péril. « Qu’est-ce qui résiste au théâtre ? », est l’une de ses interrogations.

Vous évoquez une possible dissolution de la figure artistique…
M. M. : Comme nous, beaucoup d’artistes sont habités par une inquiétude grandissante quant aux rapports se développant entre la création et le marché. On constate, en France comme ne Europe, que les critères en termes de spectacle ne sont pas qualitatifs, mais quantitatifs. Remplissez-vous les salles ? Quelle valeur revêt l’art à travers le prisme de critères exclusivement quantitatifs ?

Votre scénographie est tendue d’immenses pendillons de noir velours qui citent le théâtre…
La Ribot : Le noir domine jusqu’à coloniser les costumes qui oscillent entre sado-maso, queer et veuvage. Gustavia est l’occasion de jouer en permanence avec les signes extérieurs de la théâtralité. Que l’on cite l’érotisme parfois ambigu du New Burlesque, le strip-tease, la virtuosité attachée à l’univers circassien, « l’incompétence », l’accident, le caractère contestataire du burlesque.

Et le titre ?
L. R. : Ave Mathilde, nous évoluons souvent en miroir, tant le matériau de gestes, d’improvisations a été conçu et mis en commun, pouvant être indifféremment interprété par l’une ou l’autre d’entre nous. Ainsi Gustavia est-il un nom à la fois un et multiple. Il peut s’agir d’une trapéziste, d’une écrivaine romantique de l’arc lémanique. Ou peut évoquer nombre de figures féminines à travers l’histoire de l’art.

Bertrand Tappolet