La bulle onirique s'émousse peu à peu

A Grammont dimanche, Mathilde Monnier a présenté "Soapéra", création écrite avec Dominique Figarella. Visible encore ce soir.

C'est au crépuscule du festival que Mathilde Monnier a dévoilé sa création, au moment où la scène Berlioz du Corum est investie par la rétro consacrée à Béjart. Soapéra a été écrite avec le peintre Dominique Figarella. La troupe de la directrice du centre chorégraphique national de Montpellier est ici resserrée a quatre interprètes. Seule femme, I-Fang Lin, danseuse fétiche de Mathilde Monnier au visage expressif, est ainsi très présente.
La scène est au départ envahie par un monticule de mousse. Cela tient de la bulle géante de savon, du nuage, de l'igloo, de la meringue et pourquoi pas de la bave d'escargot. Les danseurs sont absents et pendant un long moment, cette matière mobile danse à leur place. Elle respire et se soulève, souple et légère. Comme le tapis gonflé qui avalait les interprètes de la pièce 2008 Vallée, Mathilde Monnier sort un élément scénographique de sa simple fonction d'objet et le rend vivant.
Passée une contemplation douce, lente et méditative, les danseurs percent cette poche et émergent vêtus comme au ski. A partir de là, la mousse va peu à peu fondre comme neige au soleil, sablier mesurant le temps du spectacle. La vision des danseurs qui se meuvent dans la transparence écumeuse de leur cocon est belle. Cette enveloppe est aussi fœtale mais plus bienveillante que celle en latex noir qui comprimait voici quelques jours les corps captifs de Chaignaud et Bengolea dans Sylphides.
Un immense tableau de Figarella surgit soudain et vole dans les plumes de la mousse, la peinture  arrive. Ce choc est un éclat de beauté, avant hélas que certaines scènes s'installent trop longuement sur le plateau avec des moments de vacance et des éléments qui ne font pas corps avec la globalité du tableau.
Les danseurs sont parachutés sur une planète inconnue au terrain parfois glissant. La gestuelle est ondulante voire aquatique. Le tableau, grand format sur bois où se détachent des triangles en léger relief, est assez abstrait pour permettre des projections. Il s'anime sous les lumières quand les danseurs sont des personnages qui en semblent sortis. Il est tantôt œuvre tantôt instrument multifonction.
Œuvre visuelle de mousse et de peinture, Soapéra génère des images esthétiques mais ne nous embarque pas avec conviction dans son histoire, le sens flotte à la surface. Si la texture sonore minimale composée par Olivier Renouf sied bien à l'étrangeté onirique du début, arrivent ensuite des musiques folk et rock trop plaquées. A la fin de la pièce, le tableau couché sert de scène à la danse puis retrouve sa verticalité, sa majesté, et a le dernier mot en écrasant les danseurs. C'est à l'image de la forte présence des arts plastiques au festival cette édition, qui au lieu d'inspirer et nourrir la danse comme c'est le cas depuis plusieurs années, peut la vampiriser et l'aplatir.

Anne LERAY