A 50 ans, Mathilde Monnier est une des grandes figures de la danse contemporaine. Interprète et chorégraphe, elle sillonne l’Europe avec son spectacle, Gustavia* , et nous parle de sa vie d’artiste, chez elle, à Montpellier.

Dans un boulot d’artiste, on a vraiment besoin de normalité, de choses très structurées, sinon on est vite guetté par la folie. Du coup, je suis une fille très normale. Je me lève à 6h45 et, à 9 heures, j’ai déjà fait une journée entière : je suis allée au bureau, j’ai répondu à mes mails, trié mon courrier. J’ai de la chance, le Centre chorégraphique national de Montpellier, que je dirige, est un lieu extraordinaire, magnifique. J’aime bien y être toute seule le matin : c’est le moment où je me sens le plus responsable. Il le faut car c’est une vraie petite entreprise : il y a quatorze employés permanents. Mais, entre les danseurs intermittents et les élèves de l’école de danse, on est tous les jours une cinquantaine.

*Gustavia, duo de Mathilde Monnier et Maria La Ribot. Le 28 mars à Nantes (le Lieu Unique), les 3 et 4 avril à Lisbonne (Culturgest).

La journée physique, elle, ne commence que plus tard, tranquillement, avec un échauffement, un cours de tai-chi ou de yoga, j’alterne. En tant que danseuse, je dois avoir en théorie une grande hygiène de vie, même si ça n’a pas toujours été le cas. C’est super dur ce métier, il faut s’entraîner tout le temps : passé la trentaine, tous les danseurs commencent évidemment à flipper. Du coup, je fais attention. Au petit déj, c’est un thé ou un café, ou alors rien du tout. Au déjeuner, impossible de faire un repas normal si l’on veut être en bonne condition. Donc, des céréales, des trucs végétariens pas super excitants. Après, on grignote tout l’après-midi des petites portions, comme des oiseaux. Sympa, la vie de danseuse !
Je viens d’un milieu où ce métier-là n’était pas tenu en très haute estime. Une famille alsacienne un peu serrée, cinq enfants habillés pareil. Chez nous, on ne parlait jamais d’art. Mon père écoutait juste un peu de musique classique le soir avec son whisky. Le théâtre, on ne savait pas ce que c’était. La danse, j’en parle même pas ! Ah, si, ma mère disait souvent : Les danseuses de l’Opéra de Paris, ce sont des filles de concierge. Vous voyez l’ambiance. Je me suis extirpée de là grâce à la création. Quand je dansais, il y avait juste mon corps et la musique, je me sentais comme dépouillée, mais, en même temps, libérée de tous les carcans.
Pendant les périodes de création, je passe l’après-midi au studio avec les danseurs. On cherche, on lance des pistes. C’est bizarre, la création : parfois, on répète un truc laborieusement pendant des heures et ça ne marche pas. Et puis, tac, ce qu’on souhaitait exprimer apparaît d’un coup juste, évident. Je ne peux pas me contenter de spectacles où il n’y aurait que de jolis mouvements. Dans mes chorégraphies, il y a des gestes, bien sûr, mais aussi du texte, des images, des chansons, le tout au service d’un thème, d’un enjeu. Avec Gustavia, le duo que je présente en tournée avec la chorégraphe madrilène Maria La Ribot, on voulait un peu rompre avec le côté super sérieux, cérébral de la danse contemporaine. C’est tellement rare qu’on rigole sur une scène de danse ! On récite des textes loufoques, on fait des chutes ; parfois, les gens restent de glace devant des choses qui nous font hurler de rire, parfois c’est l’inverse : c’est étrange et passionnant d’explorer ses propres ressorts comiques.
Avec Maria, on a adoré bosser toutes les deux ici, à Montpellier. Quand on habite cette ville, les amis ont plaisir à venir vous voir. Claire Denis aime bien se reposer chez moi, travailler au calme. Philippe Katerine, lorsque l’on a fait un spectacle ensemble, était content d’être là lui aussi. C’est un endroit où travail et loisirs se confondent facilement. Ça tombe bien car je n’ai pas de loisirs. Même les vacances, c’est pas mon truc. Je ne dis pas ça pour faire chic : j’ai toujours la tête au boulot, vraiment. Ce n’est pas toujours drôle pour ma fille de 16 ans, même si je m’astreins quand même à des horaires. A 19 heures, je rentre à la maison pour ma vie de maman et je me lance dans la cuisine. Bon, là aussi, je reste une danseuse ! Soit une spécialiste des légumes, salades, soupes, fruits. Jamais de viande. Puis boulot, encore : une petite heure pour préparer les séances du lendemain. Pour finir, je zappe à la télé : je regarde tout et n’importe quoi, et je m’endors vers 23 heures.

Thomas Jean
Elle - 30/03/2009