Pour sa création, elle invente des "Déroutes" qui ne sont pas débâcles. Ce n'est pas parce que Multi Materials, création donnée l'été dernier avec des stagiaires du Centre chorégraphique, évoquait la course que dans Déroutes, pièce à douze interprètes, présentée ce soir, Mathilde Monnier parlera de "la marche". Quoique, de la course à la marche, on puisse suggérer un parcours qui, avec l'effort, ferait succéder la fatigue. Ou un retour à la normale. Or, qu'est-ce qu'un retour à la normalité ? S'agit-il de "rentrer dans le rang", de remettre les pieds sur terre, pour mieux observer la réalité autour de soi ? Pas impossible. En s'intéressant, en effet, au personnage de Lenz, une nouvelle inachevée de 1835 du dramaturge allemand Georg Bûchner, la chorégraphe s'est donnée pour but " de parler du monde" tel qu'elle le pressent. "Dans cette œuvre, le poète Lenz part vers l'inconnu et personne ne peut savoir ce qui va se passer. Chemin faisant, il retrouve le contact avec le réel qui l'entoure. Il a enfin une emprise sur le monde." C'est bien, du reste, cette démarche qu'adoptera Déroutes - chaque interprète s'inscrivant "dans une destinée, dont il ne connaît que le point de départ". Place donc aux rencontres impromptues, dont le hasard conduit les pas, en toute connaissance écrite de chaque rôle. Place aussi à la poésie- l'écrivain Stéphane Bouquet composant un long poème temps réel (1h20 environ). Place enfin, à des compositions sonores inspirées par les promeneurs, dont les capteurs d'erikm amplifieront la présence. Place au jeu d'un décor signé Annie Tolleter, dont les éléments figurent les réseaux souterrains sur lesquels notre monde se construit, et dont l'ordinateur est le symbole flagrant. Retour à la normale et meilleur des mondes possibles. Ce serait mal connaître Bûchner, et aussi Mathilde Monnier. Le premier, pour s'être romantiquement mêlé de tout dire sur cet "abîme qu'est l'homme". La seconde, pour s'être rappelée que la marche, remontant en danse aux années 60 avec Steve Paxton et Simone Forti, était contemporaine des grands rassemblements pacifistes contre la guerre au Vietnam et pour la défense du mouvement féministe. Comment faudra-t-il donc comprendre Déroutes ? Comme un hommage discret à l'humour de Jacques Tati dans Trafic ? Comme la tragédie d'une infernale " fuite en avant" ? Ou, comme le manifeste d'un acte de résistance ? A chacun de choisir.

Lise OTT
Midi Libre
20 Février 2003