La dernière création de Mathilde Monnier, présentée en ouverture au couvent des ursulines, a battu en brèche les approximations de la danse contemporaine Peu de pièces du répertoire chorégraphique - et a fortiori du répertoire artistique dans son ensemble - comporte un titre exclamatif. " Arrêtons, arrêtez, arrête ! " a dérogé à cette règle pour affirmer un caractère. Il s'avère de plus en plus fondé sur les lois de l'affectivité et de son expression à l'état pur. Signe d'une modernité dégagée de la contemplation extatique, on s'y implique obligatoirement. Qu'il s'agisse du public installé au cour même du dispositif scénique - une mouvant et minimale structure métallique, avec laquelle la scénographe Annie tolleter rappelle les armatures de fer de l'architecture moderne. Des huit danseurs, livrés à des évolutions gestuelles dont ils ont puisé l'essence à l'intérieur d'eux-mêmes et non d'un code préétablie. Ou de texte troublant de Christine Angot, partenaire étroite de la création, que Mathias Jung ne récite pas mais vit dans une part d'improvisation particulièrement fascinante. ENTRE FOLIE ET RAISON Seules les lumières d'Eric Wurtz et de la bande-son de Christophe Séchet instruisent secrètement des rythmes et des respirations propre à signifier l'appareil traditionnel des actes et des scènes secondaires. Après l'Atelier en pièces, qui pouvait relever du registre de l'art-thérapie, la nouvelle création de Mathilde Monnier s'en écarte sensiblement et apparaît, sur le fond, beaucoup plus contemporaine que la précédente. Que l'on y parle, dans les deux cas, des limites fragiles entre folie et raison - à la fois dans le monde qui nous entoure et dans l'espace mentale qui habite - n'empêche pas une distinction fondamentale ; Dans le cas de l'Atelier, on s'identifiait, aisément à la figure de l'autiste. Dans le cas d' " Arrêtons. ", la chorégraphe institue sans arrêt des ruptures, propices au recul et à la distance. Pas surprenant donc qu'elle ai fait appel à la littérature - seul art dans ce siècle à avoir bien cerné l'enjeu entre identification et consommation d'un côté, et participation et distanciation de l'autre. la frontière entre les deux est du reste assez ténue, mais il y a là un espace ouvert où la chorégraphe est en train de se définir avec justesse. Les danseurs aussi. Entre expression de l'insoutenable (Herman Diephuis, Dimitri Chamblas, Joël Luecht), transe intérieure et physique (Seydou Boro, Corinne Garcia, Rita Quaglia), recherche d'envols extravagants (Eszter Salamon) et figure d'apaisements, sans doute assez rares mais conçues en toute conscience de ce qui les menace (ici l'interprétation étonnante du burkinabé Salia Sanou). A noter encore que tous les duos, quel qu'ils soient, supposent en dépit de tout l'édifice provocateur de la pièce, une vraie qualité de tendresse. Un dansant et fragile équilibre sur un fil, toujours droit debout face au monde.


Midi Libre
5 Juillet 1997