Mathilde Monnier écrit dans les marges du ballet classique


Ancienne élève de Merce Cunningham, directrice du Centre chorégraphique de Montpellier, Languedoc-Roussillon, Mathilde Monnier, qui cet hiver, avec Signé, signés, interrogeait la sexualité au sein de la danse contemporaine, se tourne aujourd’hui vers le langage classique dont elle questionne les codes via le Ballet royal de Suède. Rencontre.

Vous reprenez Natt et créez Rose (1) pour le corps de ballet du Ballet royal de Suède. Pourquoi cette inflexion vers la danse classique ?
Mathilde Monnier. Je voulais travailler sur cette matière. Je suis donc allée sur le terrain comme on va sur un terrain de foot. Je suis partie du vocabulaire du classique, des mots employés, du sens que possèdent ces mots pour les danseurs. Chacun a cherché en commun avec moi. J’ai travaillé sur la notion de préparation, qui n’existe pas en danse contemporaine. Il s’agit de mouvements spécifiques, le saut, la diagonale de jeté, etc., que le danseur effectue avant d’entrer en scène. J’ai voulu mettre en avant ces moments rejetés dans les marges du spectacle. J’ai décidé de prendre chacun des danseurs, d’où ces dix-neuf solos prévus pour Rose. Il est vrai qu’ils n’ont guère l’habitude d’être traités chacun à part, puisqu’ils sont d’emblée les éléments d’un tout, le corps de ballet.

Vous avez voulu, en somme, les considérer comme des interprètes, un terme plutôt réservé aux danseurs du contemporain ?
Mathilde Monnier. Oui, mais ces danseurs sont aussi contemporains au sens fort. Ils ont le même âge que d’autres jeunes gens. Dès qu’ils sortent du contexte du code, ils sont contemporains. Ils ont les mêmes réflexions, les mêmes modes. Il suffit de considérer cette partie d’eux-mêmes, alors elle se déploie. La Suède est un pays assez éloigné du cour de l’Europe, quasiment en marge, même s’il s’avère socialement très développé. Les gens sont " complexés ", si je puis dire, car leur langue est peu parlée ailleurs. On connaît mal leur culture. D’où cette difficulté à délaisser les codes. Ils ne sont pas aussi égocentriques que les Français !

Comment avez-vous travaillé avec le corps de ballet ?

Mathilde Monnier. Je donne des idées, des matières de danse, mais eux aussi. C’est vraiment un échange. Il n’y a pas d’interprétation, c’est de la coécriture.

Vous venez de dissoudre votre propre compagnie. Pourquoi ?
Mathilde Monnier. Elle existe depuis sept ans, du temps où j’ai été nommée au Centre chorégraphique de Montpellier, en 1993. Je suis quelqu’un de fidèle. J’ai toujours dansé, peu ou prou, avec les mêmes personnes de ma compagnie. Certains partaient, puis revenaient. À la longue, l’existence d’une compagnie au sein d’un centre chorégraphique empêche le développement, le renouveau. Cette décision convoque à la fois un moment de mon parcours personnel et artistique. Il me paraît aujourd’hui important que le Centre chorégraphique de Montpellier se développe autour d’un projet et non pas autour d’une compagnie ni d’une personne. En outre, j’ai envie de travailler différemment. Jusqu’alors je faisais chaque année une pièce pour la compagnie. Je veux trouver d’autres formes de travail. Une compagnie, c’est lourd au bout de dix ans. Cela devient un peu névrotique ! Ce problème, nous l’avons en partie mis en scène dans les Lieux de là... Cela a été chorégraphiquement scénarisé. Pour l’instant, j’ai envie de me mettre un peu en retrait. Je m’efface pour mieux observer.

Vous êtes socialement impliquée dans vos pièces. Dans le film Bruit blanc, dans une création comme l’Atelier en pièces, vous vous êtes confrontée au problème de l’autisme. Pouvez-vous nous en parler ?
Mathilde Monnier. Cette expérience a été libératrice pour moi. C’était un jardin secret, une recherche personnelle séparée du centre, de la compagnie, qui a eu une forte résonance intérieure. J’ai été face à d’autres incidences de la danse, à des choses aussi artistiques. Cela a fonctionné comme une matière de travail, laquelle a nourri ma connaissance du mouvement. Trop souvent, me semble-t-il, l’art se déconnecte de la vie. Je ne dis pas qu’il faut à tout prix aller dans toutes les banlieues. Mais il s’agit de trouver des ponts cohérents. Les questionnements doivent amener à construire des liens sinon la création reste vide. Le travail artistique a un sens, me semble-t-il, lorsqu’il se frotte à des problématiques en prise directe avec les gens. Même si on peut s’en éloigner dans le processus créatif. Quand je suis à l’hôpital, c’est artistique et dans la danse je fais aussi du social... Les danseurs, vous savez, il faut parfois les prendre avec des pincettes. Ils ne sont pas de la matière inerte, encore moins des objets !

Propos recueillis par Muriel Steinmetz
L'Humanité
30 Juin 2001