Bruit blanc Documentaire de création, 52 mn, chorégraphie Mathilde Monnier, réalisation Valérie Urréa. Couleur, 1998, coproduction ARTE LA SEPT - les films Pénélope - le Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc-Roussillon. Jamais une expérience aussi intime n'aura été filmée dans sa durée et son authenticité que celle délivrée par le binôme Monnier-Urréa ! Une tranche de vie, celle de deux femmes : l'une est chorégraphe et danseuse, directrice du Centre chorégraphique de Montpellier, l'autre est "autiste", résidente en séjour long au Mas de la Colombière. Mathilde est corps et âme habitée par son métier, son enveloppe corporelle, ses sensations et émotions d'artiste. À la recherche du contact et de la communication hors parole et actes convenus, elle rencontre dans sa trajectoire le vécu d'êtres différents qui vivent leur corps "pas comme les autres". Marie-France est adulte, profondément isolée dans son monde fait d'ivresse autant que de détresse. - Le savons-nous d'ailleurs et quelles prétentions développons-nous dans le discours aussi libre que schématique au sein même de l'antipsychiatrie ? Pas de débat houleux pour la chorégraphe qui se lance sous la bénédiction des assistants psychiatriques dans son expérience et sa volonté de découverte du monde spacial, corporel d'autre autre femme ; tout simplement et avec son seul instrument vecteur de son désir de rencontrer Marie-France : son corps, sa disponibilité, sa spontanéité, son respect. Avec elle, à ses côtés durant cette expérience, Valérie Urréa, vidéaste, complice de toutes les expériences de Mathilde avec l'image, le film et la vidéo. Ensemble elles scénarisent pour l'écran des courts-métrages à partir de l'ouvre chorégraphique de Mathilde Monnier : "À la renverse", "Pour Antigone" et d'autres scénographies vidéo pour ses spectacles. "L'atelier en pièces", en 1996, témoignait déjà de l'expérience de Mathilde avec un groupe d'autistes à Montpellier : échanges, ateliers, tout ce qui pouvait s'inventer pour communiquer avec eux d'une autre façon. Valérie Urréa se glisse donc, discrète et efficace dans la capture de ses instants magiques où Mathilde, tantôt danse avec Marie-France, tantôt bouge et révèle chez sa partenaire des gestes et attitudes inédites, marginales par rapport au comportement habituel de la jeune femme. On assiste à sa progression, grâce à la confidence de l'image et les quelques témoignages des médecins qui suivent Marie-France depuis longtemps. Ses progrès sont infimes et spectaculaires à la fois ! Complices lors du déroulement de ce poignant documentaire sur le vécu si révélateur du langage de la danse et de sa force, nous restons sans voix, pétrifiés et ravis, médusés par l'audace et la conviction de ces deux femmes : amour, amitié, haine (?) parfois. La séquence où le kinésiologue, pris à témoin de cette expérience peu banale, s'ingère techniquement et professionnellement dans cette édification et construction humaine, révèle l'inefficacité du dogme et du savoir-faire. Marie-France ne se prête pas au jeu du cobaye et rejoint Mathilde, qui n'a rien d'autre à offrir que le corps de son désir de rencontre l'autre, hors contexte psycho-médico-bienfaiteur. Modestie et authenticité de toutes les démarches : danse, vidéo, interviews, font de ce document un "être à part", à considérer précieusement sous l'angle d'un travail de témoignage et d'accompagnement. Pas de performance, mais une fidélité émouvante d'un compagnonnage digne de la philosophie et de la déontologie de Mathilde Monnier ; découverte, approfondissement de la relation humaine. Du vrai, tout simplement, du déséquilibre des deux côtés, de l'aliénation... La figure du danseur, autiste et déséquilibré apparaît en filigrane. Et pour mémoire et transmission, des images, obligatoirement. Indispensable regard posé sur de la mouvance !


Turbulences
Janvier 1999