Danse, 1196 au gymnase olympique d'Antigone Dans l'Atelier en pièces, sa nouvelle chorégraphie, Mathilde Monnier met en danger les corps, pour une recherche exaltante et profondément humaine Avec " L'Atelier en pièces ", la recherche théâtrale de Mathilde Monnier s'est radicalisée. Le fond de réflexion, que l'approche de la folie taraude, révèle, par rapport à " Pour Antigone " et " Nuit ", le désir d'aller plus loin. Et de se mettre en danger. La folie, est a nouveau un thème à la mode, il apparaît toujours, au moment où s'élèvent aussi de grandes peurs collectives. Il serait donc vain de réduire son implication dans la pièce à une simple anecdote. Il serait tout autant inapproprié de considérer la chorégraphie qui en découle, autrement que comme une danse. Ainsi ne révèle-t-elle pas de message sur la folie, même si tout le dispositif scénique qui l'accompagne (une réussite signée Annie Tolleter), engage le spectateur sur une voie clinique. C'est un dispositif qui créé aussi des conditions émotionnelles d'exception. On pense à des expériences du " Living Theatre " ou de l'expressionnisme allemand. L'AUTRE DANS SA DIFFERENCE De la même façon, la participation de Benjamin Massé-Lassaque, au titre de " l'autre " - dans sa différence autiste -, traduit l'aveu d'un type d'humanisme généreux. Il apporte, surtout, une justification aux états de danse que vivent les danseurs. Il accorde le poids de la réalité, à la destruction gestuelle qui les habite - cette hallucinante faille des corps et des êtres, qu'ils mettent au jour avec sensibilité. Il définit la coloration, d'après laquelle on peut mieux entendre les incantations à la fois chaleureuses et mystérieuses du compositeur David Moss (un vrai plaisir du genre), dont la présence est signifiée par quatre moniteurs. Ce dispositif, symbolise aussi, une bonne part de la pièce, qui se joue sur le proche et le lointain, sur la présence et l'absence, le désir et le manque, la mort et la survie. Les danseurs frôlent les spectateurs (émotion de Germana Civera). On voit jouer de près les corps et les tentions. Quelques intrusions formelles, inspirées des années 70, où l'on lisait beaucoup " L'Histoire de la Folie " de Foucault, en disent les limites. Jusqu'où le corps peut-il aller, avant la désarticulation ? Le " body-art ", dont un geste notamment de Rita Quaglia (inquiétante à souhait) rappelle les expériences, lui a apporté des réponses. Ce retour à un questionnement déjà ancien, mais toujours valable, suggère que la recherche est en cours. En essayant d'éviter le piège de faire de la folie, un simple objet d'étude, le spectacle est parfois sur une corde raide, prête à se rompre. Il n'est pas non plus, visible avec la même qualité d'émotion selon la place que l'on occupe. Même avec ses défauts, la pièce ouvre des perspectives, nouvelles de travail, exaltante. Enfin, les danseurs sont extraordinaires. Et l'on ne peut se défaire de la vision étonnante qu'offrent le solo de Joel Luecht, corps devenu spirale, ainsi que les trois duos (Rita Quagli - Lluis Ayet / Eszter Salamon - Joel Luecht / Corinne Garcia - Hermann Diephuis) où Mathilde Monnier évoque des observations sur la vie inavouée des couples, qui feront date.

Lise OTT
Midi Libre
25 Mai 1996