Directrice du Centre chorégraphique de Montpellier depuis 1993, Mathilde Monnier passe encore pour une inconnue. Rebelle, peut-être, enthousiaste, sûrement, elle présente "Les lieux de là", sa dernière création, à Montpellier et Paris, cet automne. Il n'est pas rare de la croiser à bicyclette, siège arrière vide ou avec sa fille qui, à sept ans, ne rêve pas d'être danseuse. Pas plus voyante que n'importe qui, plus blonde sans doute, visage singulièrement allongé, avec une obstination intérieure qui lui donne l'air d'être ailleurs. Elle l'est. Fonceuse et battante (on sait ses engagements au sein du Collectif du 20 mars, contre le Front national, mais aussi, avant, pour l'ex-Yougoslavie), elle ne fait jamais de déclarations fracassantes. N'est pas une star. Mais qui l'est vraiment dans le monde de la danse, où le corps s'exprime en muet et dont les pensées, fusant sur scène à la vitesse de la lumière, ne s'inscrivent véritablement dans le cerveau qu'une fois le spectacle achevé ? Culture nouvelle, aimée et suspecte. "La danse est un art pauvre qui exige quatre fois plus d'investissement, de boulot et de discipline que n'importe quel autre". Mathilde Monnier n'aime rien tant que le travail. Passe six jours par semaine au Centre, se sent "programmée". 9 heures, le matin, 19 heures, le soir. Entre-temps, mange "bio", mais pas tout le temps. "Se nourrir ? Ça dépend des moments". Sa fille, elle, mange des pizzas et des spaghettis. Enfin, ça dépend aussi. "Je ne suis pas très extravagante, comme artiste. Pas du tout dans le mythe du créateur tordu. J'ai plutôt envie d'une vie régulière et j'ai vraiment besoin de structurer mon espace quotidien. Cela, les gens ne l'imaginent pas du tout." Mathilde Monnier ne collectionne pas les plantes rares et les graminées introuvables, comme Sylvie Guilhem, mais elle adore aller au ciné, lire et écouter de la musique. À une idole dans l'art contemporain : une certaine Cindy Sherman, versée dans l'autobiographie, qui scrute les illusions attachées à la condition de la femme. Pas impossible que ses propres créations aient quelque chose à voir avec cette affaire. "Les lieux de là", aussi, mais dans un sens plus élargi qu'avant, plus serein, laissant la place aux hommes (pas seulement comme interprètes) et à l'humanité. Touche discrète, exhibée avec pudeur, mais têtue et drôle. L'imaginaire ? Sulfureux, dit-on. On n'y est pas. Mais, s'être préoccupée d'autisme, d'inconscient, de rébellion (pour Antigone), appeler sa compagnie De hexe (les sorcières), ça vous colle à l'image. Portrait à refaire : Mathilde Monnier est née à Mulhouse, a passé dix ans au Maroc, avant de revenir dans la ville natale. A fait sa terminale à Lyon de 80 à 83, où elle côtoie la Maison de la danse. S'est retrouvée interprète chez Michel Hallet, puis chez Viola Farber à Angers. Ensuite, période en duo avec Jean-François Duroure ou François Verret : Etats-Unis, Paris, où elle s'adonne au dadaïsme et au surréalisme et ne laisse absolument pas indifférent. En long tutu et gabardine, par exemple. Pieds nus. Exubérante et rigoureuse, un peu du Nord, un peu du Sud. Pour la distinction, elle a reçu cette année le Grand Prix national de la danse en France, a été invitée à l'École Normale Supérieure, est demandée à l'Ircam, se passionne pour les quatre stagiaires boursiers du centre, le seul en France à tenir cette responsabilité. Invite régulièrement des chorégraphes de la région à se produire studio Bagouet, s'enthousiasme pour la semaine africaine de Seydou Boro en mai 2000 et prépare en sous-main, pour l'été prochain, un spectacle éclaté sur le thème du potlatch - une histoire de dons et d'échanges - dont elle ne sera pas l'héroïne principale. Mais une inconnue, à découvrir.

Lise OTT
Regard
Octobre 1999