Avec un vocabulaire désormais bien en place, Mathilde Monnier nous offre une ouvre plus décontractée qu'à l'habitude. Splendide. Depuis quatre années qu'elle est à Montpellier, installée (ce qui était assez neuf dans sa carrière), Mathilde Monnier s'est attachée à développer sa création autour de l'enfermement et du dérèglement mental. En sont sorties trois pièces vibrantes, mais il faut bien le dire assez dérangeantes, et par là même difficiles à recommander à tout public. Un vocabulaire s'est cristallisé, agrégat de monochromie (noir et blanc très purs), de présence sur scène d'intervenants extérieurs (musiciens, conteurs, voire bateleurs), et de rapport de forces et de mouvements entre une équipe de danseurs assez typés et impressionnants de qualités techniques. Les lieux de là, pièce créée samedi soir pendant que près du tiers de la planète regardait le Brésil étriller le Chili, est un travail dans la continuité des ouvres des années précédentes, mais beaucoup plus cool, libéré, décontracté. On retrouve bien les mêmes ingrédients de caractère : masochisme, mouvements convulsifs et répétitifs (encore que se rajoutent des mouvements collectifs, qui sont typiquement des "groupés-pénétrants" de rugby), contraste de taille (et donc de pouvoir) entre Corinne Garcia et les garçons géants, autorité de posture d'Eszter Salamon (clone de Mathilde). Sans oublier le noir des décors et des costumes, la sexualité affirmée de ceux-ci (moulant les poitrines des filles). On avait aussi la présence du musicien sur scène, et l'espace clos -ici le studio des Ursulines. Une fuite, un espoir... Ce qu'il y a de nouveau dans Les lieux de là, c'est la perte de symétrie de la scène. Elle est désormais composée en opposant deux parois couleur bois, mais celle de gauche est fabriquée de boîtes de carton, qui se percent, se disloquent sous les impacts des danseurs, laissant deviner une possibilité de fuite, un espoir. Le musicien en fond de scène, mais sans que cette disposition suggère que les danseurs sont des marionnettes, leur liberté sautant aux yeux, fait appel à des guitares, des systèmes à archet, des pédales à effet et à des rythmiques préenregistrées. Sa musique flirte avec l'ethnique et parfois carrément avec le groove. Est-ce dû à cette musique emballante (de Heiner Goebbels interprétée par Alexandre Meyer) ou à une nouvelle sérénité acquise par les danseurs qui avaient été manifestement perturbés par la difficulté de la recherche de Mathilde ? Toujours est-il que Les lieux de là (travail qui est censé évoluer sur plusieurs années avec de nouveaux interprètes, dont Michèle Prélonge et Dimitri Chamblas), dans sa version 1998, est une ouvre enthousiasmante, pêchue, joyeuse, parfois même comique. Un versant lumineux de l'ouvre Nuit donnée il y a trois ans. Les lieux de là, dont le seul défaut que l'on puisse évoquer est d'être trop court. Il y a pire comme reproche, non ?

Jean-Marc DOUILLARD
La Marseillaise
29 Juin 1998