" Je ne vois pas la femme. " au théâtre Jean Vilar Sans complaisance, toute en réserve. Pourtant d'une allègre inventivité. C'était la première pièce de Mathilde Monnier Elle se préfère insaisissable. Jamais précisément à l'endroit où on l'attend. Mathilde Monnier nous en avais avertis : le tour d'horizon de sa création, qu'elle a imaginée en trois spectacles différents pour Montpellier - Danse 94, ne doit pas être perçu comme un propos historique cohérent. Mais plutôt comme des touches. A mi-chemin de se parcours, la programmation de "Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt ", à montrer ce qu'une telle combinaisons aléatoire recelait de magie. " Je ne vois pas la femme. " est une pièce ancienne. Elle remonte à 1988. Elle était la première que la chorégraphe signa sous son propre nom après que la paire quelle formait précédemment avec Jean-François Duroure se fût séparée. Or, telle qu'on l'a vue au théâtre Jean Vilar de La Paillade, cette pièce est apparue avec la fraîcheur intacte d'une nouvelle création. Tout est allé si vite dans la danse contemporaine depuis 1988 - parfois y compris dans le sens du désenchantement - que cette fraîcheur intacte défiant son morceau de temps, est un signe qui ne trompe pas. Insaisissable. Jamais là où on l'attend. Cette " femme cachée " est de cette sorte. La pièce circule au grès d'entrées et sorties incessantes. Jamais elle n'est contrainte dans des figures d'ensemble (à l'exception de la fin, où tout s'équilibre dans l'unité retrouvée). Le mouvement apparaît au fil des rencontres, le plus souvent des duos. Là naissent des énergies retenues, qui continuent d'innerver la séquence, la rencontre, suivantes. Et ainsi de suite (dirait-on en se souvenant d'une autre soirée encore récente). CE QUI MANQUE DANS LA DANSE Jamais la composition ne se laisse envahir par le tonitruant, l'instant, l'emballement. Ni sentimentalisme, ni violence, notamment dans les rapports entre les sexes, pacifiés. A ces tapages visuels, coutumiers dans la jeune danse, Mathilde Monnier a préférer une danse qui prend son temps, pour s'inscrire avec netteté, dans une combinatoire très inventive. Des échanges dans les bras permettent de dessiner des géométries dynamiques. Le travail est fouillé ; ici un trois quarts pointe enrichit une marche, là une soudaine inflexion dérègle une trajectoire. Jamais rien de banal. On décèle toute cette maîtrise savante, sous l'apparence d'une folie aléatoire, qui répand beaucoup d'allégresse. Certaines attitudes flirtent avec des déformations monstrueuses et drôles : on avance au sol, poignets retournés vers l'intérieur ; on se transforme en crabe ; on tente de s'accrocher les jambes par dessus la tête. Bures ou slips noirs ; un garçon sur talon aiguille ou tous en robes de gros tissus écossais : des costumes de facture simple déclinent une gamme insolite jusqu'à l'extravagance, mais qui jamais n'encombre la danse. De même une paire de comédiens est combinée au danseurs. Tout deux, hébétés et patauds semblent sortis d'une pièce de Jérôme Deschamps, L'un dans une grosse carrure coiffée de blond, à l'anglaise, l'autre en petit brun, tel un italien de New York. Ils sont employés à souligner se qu'il peut y avoir de bizarre dans la danse pour qui n'appartient pas à son monde. Et tout autant ce qu'on perd, ce qui ne marche pas, quand on se passe de la danse. Leurs va-et-vient enrichissent le rythme de l'ensemble, alors qu'on aurait pu craindre l'inverse. Tendue avec constance, cette pièce et une émulsion de danse qui se nourrit dans l'action même de la danse. A la fin, on se retrouve comme dans un jardin, où on aligne des rangées de pots en terre. Les graines alors semées par Mathilde Monnier ont très bien poussé.

Gérard MAYEN
Midi Libre
1er Juillet 1994