Au centre chorégraphique Pavlova 3'23'', de la vraie danse enfin


Le retour de la vogue néo-classique est à l'origine de Pavlova 3'23'', dernière création de Mathilde Monnier pour Montpellier Danse. De ce bref solo, mythique improvisation hantée par La mort du cygne, qu'écrit Fokine en 1907 pour la légendaire Anna Pavlova, Mathilde Monnier a étiré un songe de soixante minutes. Il vivra longtemps. Encore hésitant lors de la première, lundi soir au studio Bagouet, le temps joue pour lui. Aussi improbable que la vie d'un danseur sur un plateau, aussi fragile et sublime qu'un instant d'ivresse, il instille la gravité, atteint l'émotion à coeur et s'en délecte en de mélancoliques accès de grâce, à faire pâlir un Raimund Hoghe. Pour autant, cette pièce semble canaliser les énergies disparates de créations antérieures (Déroutes, Gustavia ou Tempo 76). Plus construite que jamais, et rythmée en séquences de groupe au son d'une lancinante clochette, elle expose des états du monde où la démocratie s'effrite. Des chutes tragiques laissent les corps épars sur la scène comme soufflés par un vide sans fond. Marionnettes animées d'irraisonnables pulsions, ils tentent d'élire un roi, dont la posture est en vrac. En recherche de sens, ils s'étreignent, se déprennent, vivent une solitude où les objets, symboles bouffons (parapluie, squelette de pied géant, trompette, escabeau...), ne sont que vanités. Devenus simples insectes en émoi sur une table de dissection - dont la scène, encadrée de rideaux en bruissants sacs poubelle, offre la métaphore -, ils se laissent peu à peu happés par la belle voix off, lumineuse et profonde, de Rodolphe Burger. Pas d'issue alors, no future, détresse ultime ? A cette question politique, Mathilde Monnier répond encore par la délicatesse. L'utopie du bonheur béat est-elle mise en berne ? Place à la beauté conquise, fut-elle grimaçante, convulsive et tétanisée, entre tics et effrois. Place à des solos splendides - I-Fang Lin chuchotant du chinois avant le grand écart, sensuelle Cecilia Bengolea juchée sur pointes (oh, quel hasard !), Thiago Granato en roi Lear d'épouvante, fascinant Olivier Normand ondulant des bras, Julien Gallée en décérébré volatile... On en ressort ébloui et séduit. Voici que d'habitées attitudes, éclatées et hors d'haleine, ont su devenir formes et sens. Du vrai, pas du chiqué. Avec sa Pavlova, c'est clair, Mathilde Monnier a réussi une chose : faire de la danse contemporaine, décomplexée et vivante, qui reconstruit son histoire. Avec des pleurs, peut-être, mais sûre de ses nerfs ! Donné encore ce soir et jusqu'à vendredi. À voir de toute urgence.
Lise OTT

Studio Bagouet, Les Ursulines, ce soir, demain, 20 h, également, jeudi et vendredi. 25 € et 20 €. 0 800 600 740.