Mathilde Monnier et Dominique Figarelle Soapéra

La matière mousseuse a débuté sa lente construction alors même que les spectateurs patientaient encore à l’extérieur de la salle. En pénétrant à l’intérieur, ils se trouvent confrontés à la formation en cours d’un amas de mousse craquante qui s’écoule depuis un tuyau suspendu dans les cintres en formant un épais anneau qui se répand sur toute la surface de la scène.
 
La lumière s’éteint dans la salle et n’éclaire plus que la matière qui apparaît alors dans une éclatante blancheur et achève soudainement sa formation. Le silence se fait et la matière placée au centre, telle un monstre à la forme irréelle et parfaitement incompréhensible emplit les tympans de crépitements continus, occupant ainsi l’espace visuel et le volume sonore. Une sensation d’étouffement peut gagner le spectateur, comme si il sentait se rapprocher de lui un ballon géant qui grossirait graduellement, sans tenir compte de sa présence, rendant à terme l’écrasement de sa personne inévitable.
 
Cependant, confirmant son caractère animé mais infirmant son côté menaçant, la mousse ondule et se soulève par endroit , se déplace ou tout du moins en exprime l’intention, à la manière d’une larve géante, par lentes impulsions verticales ou horizontales. Puis la chose ou l’être animé se divise et donne vie à de plus petites formes qui ondulent, portées par les danseurs placés dessous, variant les propositions formelles (carapaces, nuages…)
 
Si le corps humain parvient à percer l’anneau grésillant, sa densité et sa dureté lui imposent des mouvements qui empruntent alternativement aux déplacements aquatiques ou aériens ainsi qu’aux glissements et chutes volontaires ou arrêtées, dues à la nature même de la matière traversée.
 
Un jeu s’installe entre la matière, les danseurs et leur plasticité si dissemblable. Les oppositions entre la légèreté et le poids, la distorsion entre la taille des sujets, l’incontrôlabilité des directions produites par le flottement de la matière et le glissement des pieds et des corps sur celle-ci mettent en œuvre un engagement qui s’apparente au rapport entre l’instrument et la surface, dans sa phase de création et d’invention artistique. Les danseurs deviennent les sculpteurs de la mousse et celle-ci moule les danseurs dans une gangue humide qui modèle leurs gestes.
 
C’est la matière dure qui viendra à bout de l’autre après en avoir exploré toutes les dimensions, joué et combiné les rythmes, les masses et le rapport à la pesanteur. Ainsi, un jaillissement d’un interprète peut se prolonger en un flottement de mousse aérienne qui redéfinit la perception du geste initial et l’énergie nécessaire à l’impulsion d’un jet de matière se dissout dans la légèreté éphémère des bulles.
 
Après avoir épuisé les ressources de la masse blanchâtre, les danseurs tenteront de reproduire sur la surface glissante les mouvements générés par cette rencontre quasiment immatérielle : gestes esquissés et arrêtés pour compenser les déséquilibres naissants, oscillations forcées dans tous les plans dimensionnels, élans plastiquement magnifiques mais parfaitement inadaptés au matériau traversé, jaillissement et éclatements en imitation relative des explosions des gouttelettes mousseuses et enfin glissements prolongés par le jeu de l’inertie des corps…
 
Travail du corps sur la matière et réaction de la matière sur les corps, c’est le choix de situer ce dialogue plastique sur le terrain de la confrontation entre le créateur et a matière première qui émerveille le spectateur.
 
Se perdre avec bonheur dans les écarts d’échelle, s’abandonner à l’enveloppement des sons produits par le lent et continu changement d’état de la mousse, plonger en des sons produits par le lent et continu changement d’état de la mousse, plonger en des sons produits par le lent et continu changement d’état de la mousse, plonger en projection avec les danseurs dans la matière aqueuse et savonneuse conduisent à un état de perte des repères physiques habituels et de bien être quasi extra-corporel.

Christine CHOISY
Choreos.fr - 21/11/2010