Le style de Arrêtez, arrêtons, arrête, chorégraphie de Mathilde Monnier qui ouvre le Festival Montpellier Danse est plus austère que jouissif, mais incontestablement il se passe quelque chose au Studio des Ursulines. L'histoire du Festival de Montpellier Danse commence à être marquée par l'ouvre de Mathilde Monnier. D'abord présente comme chorégraphe lamda (Pour Antigone en 1993), sa nomination à la tête du Centre Chorégraphique National du Clapas (appellation non contrôlée) amenait une rétrospective en 1994. Ceux qui ne la connaissaient pas découvraient une danseuse sublime (Chinoiseries, avec Louis Sclavis), mais beaucoup étaient restés sceptiques quant à l'ouvre de chorégraphe. Conséquence ? Allez savoir, mais l'année suivante, elle rentrait dans le rang au Festival en présentant comme les autres une création sur deux soirées : Nuit. Là aussi, bon nombre de spectateurs restaient secs, même si certains louaient le "travail de recherche". Mais la recherche, c'est bien beau, encore fallait-il l'expliquer au public (la didactique ?). Il y avait, certes, une circonstance atténuante et explicative. Mathilde Monnier, plutôt portée sur les structures légère, le de-ci, de-là, l'impro et les rencontres "au feeling" avec le jazz ou la danse indienne (néologisme, désolé), pouvait rencontrer quelques difficultés à diriger un éléphant institutionnel tel qu'un centre chorégraphique. En tous cas, l'année suivante, mais hors Festival, elle jetait un pavé avec L'Atelier en pièces, chef-d'ouvre absolu traitant des maladies mentales et de l'enfermement. Public séduit et remué, que demander de plus ? La conquête d'un tel sommet explique qu'elle tienne cette année une place à part au cour du Festival : elle en fait l'ouverture et, fait exceptionnel, sa pièce se jouera tout au long des deux semaines festivalières. ENFERMEMENT Comme pour L'Atelier, il s'agit d'une ouvre de laboratoire. Mathilde (tout le monde l'appelle comme ça, alors allons-y) a enfermé pendant quelques mois tout son monde dans le studio du nouveau centre des Ursulines. Tout son monde, ce sont ses 10 danseurs, une costumière, deux ingénieurs du son et lumière, un écrivain (Christine Angot) et quelques autres. Le résultat, assez passionnant, est montré dans des conditions d'enfermement. Le public est confiné autour de la scène, dans un carré de sièges tubulaires. Il apparaît assez vite que le carré n'est pas symétrique. Il y a une tribune plus haute que les autres, présidentielle, comme au foot, et en face une tribune coupée en son centre par un lieu technique (micro, magnéto, etc.). L'espace du spectacle et donc un lieu représentatif du pouvoir, de la technologie, de la "pensée unique" et de cela, on va en parler. Parce que l'ouvre de Mathilde Monnier n'est pas une ouvre de divertissement. C'est une danse qui parle de plein de choses : du pouvoir, nous l'avons dit, mais aussi de la timidité et de l'angoisse d'un être devant les autres, d'un individu face à l'histoire sociale. Le mot qui revient souvent est "équilibre", mot qui peut s'appliquer à l'esprit, mais aussi au corps. Le dialogue de la pièce, au-delà de celui entre les acteurs et les spectateurs est un dialogue entre esprit et corps, le texte de Angot poursuivant une marche autonome tandis que les danseurs courent et s'auto mutilent pour tenter, qui de se redresser, qui de se clamer, qui de perdre sa rigidité pré-cadavérique. OUVERTURE Mais c'est aussi une tentative de l'individu de reprendre sa liberté, de se recréer, avec ce cas particulier à l'intérieur de Mathilde, Directrice d'un centre artistique qui doit composer avec un pouvoir désireux de publicité. Angoisse devant l'abus de pouvoir potentiel permis par ce doublon Festival international/Centre chorégraphique dans la même ville ? Stop ! On arrête. Le résultat visible est, en fait une ouvre ouverte, qui se prête à de multiples interprétations. On peut même, si on veut, y aller à fond dans les Freudaines. Le studio est-il un ventre de mère, et les danseurs les fotus ? Vous voyez le genre ; je ne me moque pas. L'essentiel c'est que l'ouvre pulse, soit intense et donne envie de vous pousser à la voir. Ce, d'autant plus que la politique des prix est très raisonnable (80 F). Dernière petite remarque, comme chacun peut avoir sa lecture, pourquoi pas celle-ci ? Pour moi, les pièces de Monnier s'inscrivent dans la science-fiction. Le décor tout blanc de L'Atelier évoquait 2001, l'Odyssée de l'espace. Cette année on se retrouve, après l'escalier / sas du Centre chorégraphique, au cour d'un cube gris métallisé, planté de gréements en alu anodisé, parsemé de sièges dépolis. Les lumières s'éteignent, pas toutes, il reste les loupiotes de sécurité bleu nuit. C'est clair, on est là aussi dans un navire spatial, mais plus celui des intellos de 2001, non, celui des prolétaires de Alien. L'alternance des phases de jour et nuit, l'habillage "normal" des personnages et le son trafiqué ajoutent à l'affaire. Arrêtons, arrêtez, arrête !, c'est un vaisseau spatial lancé vers nulle part, avec son échantillon de société, assez dérangée, observé comme au laboratoire par le public. Ces êtres nous le disent, que c'est foutu - "il ne faut pas s'enfoncer dans le trou noir" -, mais il ne croient guère "s'en sortir". A la fin, tout s'éteint, et le public croit qu'il est libre, que c'était bien lui le geôlier. C'est oublier la cabine technique, tout en haut, le cockpit qui nous surveillait et qui dirigeait le tout. Finalement, qui était le rat de laboratoire ? En bref, et tout délire calmé, c'est à voir toutes affaires cessantes. Le seul truc, c'est que si ça ne vous plaît pas dès les trois premières minutes, le voyage risque de vous paraître long.

Jean-Marc DOUILLARD
La Marseillaise
24 Juin 1997