BRUIT BLANC. Dialogue entre la chorégraphe Mathilde Monnier et Marie-France, une jeune femme autiste MATHILDE Monnier est une artiste en perpétuelle recherche. A la tête du Centre chorégraphique national de Montpellier, elle mène, depuis cinq ans, en collaboration avec l'association Les Murs d'Aurelle, un travail avec des adultes autistes. A l'hôpital psychiatrique de La Colombière, dans cette même ville, elle a rencontré Marie- France Canaguier, une jeune femme de vingt-six ans, souffrant d'autisme infantile précoce. La chorégraphe l'a observée, regardée se mouvoir, se balancer d'avant en arrière et d'un pied sur l'autre, attitude familière aux personnes atteintes de ce mal. Le ballet involontaire, spontané et irréfléchi de Marie-France lui a donné l'idée d'un duo. Pendant des mois, les deux femmes ont travaillé ensemble. Elles ont commencé par s'approcher, avant d'établir un dialogue, par l'intermédiaire du corps. Bruit blanc, qui a été joué le 7 avril 1998, est l'expression de ce surprenant échange physique. Le spectacle et les répétitions ont été filmés par Valérie Urréa. Au début du film, la chorégraphe et l'élève sont sur une scène. Le décor est sobre : sol en lattes de bois, de part et d'autre deux gros buissons de branches mortes, un mur contre lequel s'appuyer. Sur un fond de percussions, Mathilde la blonde avance le long de la paroi ; Marie-France, la brune, la suit, agrippée à ses épaules. Puis Mathilde, allongée sur le sol, tend une main comme pour dire " A l'aide ! " et Marie-France la traîne, comme un tas de fagots. Souvent, Marie-France se laisse aller à ses balancements. La chorégraphe s'en sert, impulsant d'étranges figures. On sent que Mathilde cherche à canaliser les mouvements désordonnés de sa partenaire, mais sans la contraindre. " Au début, il y a cinq ans, Marie-France ne pouvait pas s'allonger, il m'était difficile de l'approcher, témoigne la chorégraphe. Pour autant, elle ne prétend pas que l'expérience artistique ait valeur thérapeutique. Ca ne la sort pas de son monde de l'enfermement. Ca déplace notre regard sur elle. Ca lui permet, peut-être, d'établir une autre distance avec elle-même. " L'oeuvre de Mathilde Monnier se nourrit de ces rencontres, dans lesquelles elle s'investit généreusement. Sa patience et son attention à l'autre ont surpris le personnel soignant de La Colombière : " Je ne sais pas quel est le chemin personnel de Mathilde, avance une pédo-psychiatre. Ce n'est pas seulement une danseuse, c'est quelqu'un d'autre, énigmatique, comme les autistes. Ce qui est merveilleux, c'est cette rencontre, en dehors de la parole, entre l'énigme Mathilde et l'énigme Marie-France. "

Sylvie KERVIEL
Le Monde
12 Avril 1999