La Petite Fabrique porte bien son nom et a les idées claires. Cette petite boîte de production et d'accompagnement de projets artistiques a demandé à divers chorégraphes, contemporains ou hip hop, d'écrire des danses sur les Fables de Jean de La Fontaine. En choisissant librement leurs textes, tous ont joué le jeu et rendent leur copie en ce moment au Théâtre national de Chaillot. Ce ne sera pas la seule date, le planning des tournées est impressionnant. Rien d'étonnant à cela car il est rare qu'un spectacle puisse réunir parents et enfants, d'autant que les programmateurs peuvent faire leur soirée à la carte, prendre une pièce ou deux ou trois. A Chaillot, le premier programme propose trois danses à réciter. Le mauvais élève est Dominique Boivin. S'il avait réussi un Casse-Noisette sans faute pour le Ballet de l'Opéra national de Lyon, il a ici le plus grand mal à se dépatouiller avec le Lion et le rat. En mélangeant les styles, en étant plus que bavard, il nous fait perdre le fil de la fable pourtant bête comme oie : "On a toujours besoin d'un plus petit que soi." Son lion rugit de belle manière, son rat est bien un emmerdeur, mais on ne sait quelle est la morale. Car ce qui est évidemment intéressant dans ce projet, est l'actualité du propos et non la mise en scène d'un bestiaire patrimonial. Plaisir de la langue. Plus punchy, le Corbeau et le renard de Dominique Hervieu mêle images projetées et duo en direct sur scène. Même Jean est de la partie, gambadant comme un danseur baroque. Le plaisir de la langue se manifeste dans chaque geste des danseurs et le livre d'images fait craindre autant le corbeau que le renard car le jeu est féroce. Les purs moments de danse rompent avec bonheur la seule narration. Bobo Pani est toujours pétillant et Wu Zheng félin, faunesque. Toujours dans ce premier programme, le Chêne et le roseau de Mourad Merzouki n'est pas loin du 20 sur 20 car il est au coeur de son projet chorégraphique. En rencontrant Jean de La Fontaine, Merzouki ne fait pas l'école buissonnière, il réfléchit une fois de plus à sa danse. Le chêne serait le système rigide qui produit l'exclusion et le roseau une culture plus mouvante, malléable, non-installée. Autrement dit, le hip-hop plie mais ne rompt pas. Le chorégraphe a ajouté un troisième personnage : le vent. Les trois danseurs (Mehdi Heniche, Aurélien Kairo et Halim Houcine) transportent le public de la fable animalière au conte actuel. Même si le hip-hop n'exclut pas le mime dans ses modes d'expression, Mourad Merzouki n'en a pas abusé. Bien au contraire, c'est plutôt en puisant au mouvement abstrait qu'il signe un trio, opposant les blocages aux vagues mouvantes du hip hop. Lettres mangées. Autre 20 sur 20, dans le second programme, la C de la F - d'après la Cigale et la fourmi. Le chorégra phe Herman Diephuis bouffe le texte de La Fontaine : sur le plateau, les lettres sont dévorées par les deux insectes, surtout la fourmi, petite femme de ménage obsessionnelle, qui fait provision. Coulés dans le texte, les personnages n'ont pas besoin d'illustrer l'histoire, ils préfèrent s'amuser et se mettre en branle sur de vieux tubes. Et de leçon, ici, point, car danser est bien la seule chose qui résiste à la tristesse, même si l'hiver est venu. C'est la morale de ces Fables à La Fontaine récitées de mille façons et la plupart du temps réjouissantes dans leur invention.

Marie-Christine VERNAY
Libération
Vendredi 10 Janvier 2003