Mathilde Monnier : un manifeste féminin


Au théâtre de la Ville, la chorégraphe présente Publique, un spectacle 100 % féminin : huit danseuses, une chorégraphe, une chanteuse... et la musique de PJ Harvey "car elle ne fige pas les images de la femme".

Votre nouveau spectacle, Publique, est une réflexion sur la relation avec le public.
Je suis partie d'un travail de recherche sur le mouvement et sur l'empathie qu'il provoque chez le spectateur. Comment il ressent la danse contemporaine et comment on aboutit à une émotion commune. Publique montre des "états de danse" qui sollicitent des mouvements intégrés dans la mémoire des danseurs. Celle-ci est toujours liée à des situations particulières, il faut les laisser surgir, à la manière de l'écriture automatique : cela passe par beaucoup de pratique ; pas par l'improvisation. A l'origine, Publique était donc un travail de studio, ce n'est que par la suite que c'est devenu un spectacle...

Un titre décliné au féminin, huit danseuses, une chorégraphe, une chanteuse, c'est un spectacle 100 % féminin...
Pour trouver cet espace de la danse entre intimité et chose publique, j'ai pensé que la seule manière d'y arriver était de travailler uniquement avec des femmes. Travailler avec un homme met toujours un filtre. Avec une femme, il y a plus d'évidences : je ne parle pas de psychologie, je parle de choses physiques comme le poids, la façon dont le bassin s'articule...

C'est en tout cas une première.
Effectivement, d'autant que ma compagnie est majoritairement masculine. Mais ce n'est pas une pièce féministe pour autant. Etant passée moi-même par les années 1970 et 1980, j'ai du mal à ne pas considérer le féminisme comme d'abord politique. Je préfère dire que c'est une pièce "en prise avec le féminin", une sorte de manifeste féminin.

Manifeste de quoi ?
On a tellement codifié l'image de la femme. Je le vois sur les ados qui sont prisonnières de ces codes et cela empire chaque jour. Aujourd'hui, il faut correspondre à une image. L'obsession de toutes les femmes dans les pays occidentaux est de rester une éternelle adolescente. Une femme est plus complexe que cela, elle a une identité multiple. Et c'est ce que je veux montrer, cette complexité.

Vous vous appuyez beaucoup sur la musique de PJ Harvey.
C'est Claire Denis qui m'avait suggéré que nous avions des points communs. Et puis j'avais adoré ses premiers disques. C'est une des rares femmes à résister dans le monde du rock. J'aime cette chanteuse justement parce qu'elle ne fige pas les images de la femme : pin-up, femme fatale, rockeuse...

Si le propos est sérieux, la forme est souriante.
Convoquer le plaisir, montrer comment s'invente la danse, c'est primordial. Or le plaisir, ça ne se mime pas, ça se vit. Quand on y parvient, sur un plateau, ne se pose plus la question de la présence du danseur ou de celle du public, parce qu'elle devient comme une évidence...


Propos recueillis par Philip de la Croix
Aden - 19/10/2004