L'atelier en pièces de Mathilde Monnier. Ricardo Bofill, dans la continuité de la scénographie citadine du quartier Antigone, s'est lancé dans le défi architectural d'une piscine olympique. Pari tenu, pari gagné et l'espace ainsi créé par le célèbre architecte - ô combien désavoué par les obscurantistes, objecteurs à tout étonnement - inspire à Mathilde Monnier, la possibilité de créer pour le volume du gymnase, en sous-sol, l'espace de sa toute dernière création, 'L'atelier en pièces'. Les contours sont délimités par des panneaux translucides, disposés en carré, doublés par une galerie percée de quatre issues, le tout coiffé d'une toile opaque. Blanc, lumière blanche, atmosphère close, étouffée, sons voilés, feutrés. Silence. Silences. Quatre moniteurs vidéo disposés en regard convergent, vers le centre du dispositif scénique, déchargent des images du musicien David Moss en dialogue avec l'action directe. Fait irruption dans ce décor qui prépare à l'intimité d'une introspection, un jeune homme dégingandé, tonitruant, jovial, affublé d'une logorrhée, maniaquerie d'un homme en léger "décalage" de ses prochains, de ses voisins. Il parle, lui, mais il ne nous parle pas à nous, spectateurs inclus de force dans l'action par les places qui nous y sont imposées : à l'intérieur du dispositif carré, sur trois rangées. Et proximité exige, le malaise ou l'empathie avec l'action au sein de l'arène scénique, s'installent de gré ou de force, qu'on le veuille ou non. Résurgence. C'est de l'autisme dont il sera question pendant le spectacle, bien celui qu'a côtoyé Fernand Deligny, 'Ce gamin-là', celui de son centre d'accueil, celui de son film qui accompagnait le mouvement de l'antipsychiatrie. Et cet autre gamin, celui du tout récent film de Jean-Michel Carré, 'Visiblement, je vous aime'. Car ce premier personnage, donne le ton à toute la pièce, d'emblée : un ton grave et jovial, une sonorité de la langue parlée, déjà incompréhensible, car remplie de sons désordonnés, émis, parfois intelligibles. Ils dévoilent en demi-teinte l'histoire de Dracula, cette légende faite homme, vampire, elle seule qui a fait parler de lui, sans que jamais lui, ne parle. C'est à Benjamin Massé-Lassaque que l'on doit cette interprétation juste, trop juste, qui résonne comme une réalité brûlante. C'est la rencontre clé de Mathilde Monnier, lors du déroulement de ses ateliers-danse, en milieu psychiatrique à l'hôpital de la Colombière, auprès d'autistes adultes. Humain ou corporel ? Là réside tout le secret. Surgissent, un par un, les "autres", les sept autres protagonistes de séquence sans histoire. Car il n'y a pas de prétexte possible pour conter l'existence de sept univers différents les uns des autres, et de surcroît différents de la "normalité", du comportement social humain. Humain ou corporel ? Là réside tout le secret de l'interprétation de chacun des danseurs de la compagnie. Ils sont uniques ; à chacun d'aborder son espace, l'un en s'y jetant systématiquement, plexus offert à l'espace entier, corps jeté, criant de toute son énergie sans jamais émettre de son, l'autre, au sol rivé, assurant son existence à lui seul en compagnie du roulement d'une boule de pétanque, objet de son rattachement à la vie. Énumérer chacun des personnages serait ici fastidieux. Les regards s'y posent avec l'intérêt et l'affection qu'ils suscitent. Là, tout près de nous, si proches forcément par l'implication du spectateur dans l'espace conjoint à celui des danseurs-autistes. Ils nous frôlent, nous renvoient même notre propre image les regardant par le truchement de miroirs qu'ils portent à un moment sur eux, tous ensemble. Regard sur soi-même, sur la folie, sur la frontière, sur le basculement dans la folie. Qui s'autorise à déterminer les limites qui font d'un comportement physique, un homme à part ? À part, ou à part entière ? Car l'autiste se protège de nos maladies sociales, somatiques. Il est libre, il est silence, il est or dans sa "boîte" fermée, sans faille où pourraient s'immiscer tous les malheurs du monde. Mathilde Monnier tisse ici la chorégraphie de l'absence, du silence, de la solitude, mais jamais du désespoir. Il n'y a que de la vie, du mouvement répétitif qui nous rappelle qu'une histoire s'ancre dans la répétition, la reproduction de sa forme. Sinon, il n'y a pas d'enfance, pas de jeu, pas d'étincelle, la reconnaissance. Celle qui s'est opérée, pour Rita Quaglia, lors des ateliers que les danseurs ont animés avec les autistes à Montpellier. "Être en complicité physique, d'emblée, parce qu'on est danseur et que la parole n'est pas nécessaire pour communiquer." Le regard de l'absence qu'elle incarne dans son personnage est ce qu'elle a su garder et "passer" de plus fort. Fixé sur rien, au-delà de l'espace et de la compréhension, insaisissable, lointain, absent. Tel un corps morcelé et reconstitué, 'L'atelier en pièces' se dessine comme une ouvre tout à fait singulière dans le répertoire de Mathilde Monnier. Une carte maîtresse à jouer à coup sûr. L'espace ainsi défini est autonome, indépendant des structures théâtrales s'il accueille cent soixante spectateurs, le rapport spatial danseurs-public étant de l'ordre de l'intimité. Ce qui du reste est un bon argument de vente : 62 pré-achats déjà pour 'L'atelier en pièces', dont 12 représentations au festival d'Avignon, en septembre également 12 spectacles dans le cadre de Octobre en Normandie (du 16 au 28 septembre) et toute une tournée en région Languedoc-Roussillon, en inventant de nouveaux réseaux d'accueil dans le tissu local. Un travail de fourmi, en profondeur, tout à l'image du Centre chorégraphique et de son équipe. Le Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc-Roussillon : dernières Pierres ! En octobre 1996, verra le jour, le nouveau Centre chorégraphique, dirigé par Mathilde Monnier, au Couvent des Ursulines à Montpellier. Visite d'un chantier en pleine effervescence, mi-mai, guidée par les deux architectes Florence Lipsky et Pascal Rollet : le choc existe ! Dans l'ancien couvent, plus connu comme lieu d'accueil de spectacles lors du festival Montpellier Danse, on découvre tout le dispositif spatial, imaginé à l'origine par Dominique Bagouet. Emotion. Peu de modifications par rapport au projet original du chorégraphe, si cher aux Montpelliérains et à la danse contemporaine. À croire que son sourire bienveillant rayonne aux anges en ces instants, approuvant d'un clin d'oil complice la réalisation d'un de ses objectifs : faire partager la danse aux professionnels et aux amateurs dans des conditions dignes de leur engagement. Un écrin donc pour le projet artistique de Mathilde Monnier, fondé lui aussi, sur l'existence et le partage. "Ce lieu est avant tout un espace de création, de rencontres et d'échanges, ouvert sur la ville. Aux Ursulines nous pourrons mettre le public plus en contact avec le processus de la création chorégraphique à travers des ateliers, des répétitions publiques. Nous pourrons le familiariser avec le langage propre à la danse à travers des rencontres." Un magnifique studio de répétitions et de préparations de spectacles est la pièce maîtresse, la plus fignolée quant à la conception de l'accueil des danseurs dans un espace qui leur est rigoureusement consacré, dédié : un véritable amour de la profession, une connaissance minutieuse des besoins et désirs des danseurs soutendent la réalisation des espaces visités : une climatisation par déplacement d'air illustre à elle seule, toute l'attention portée au corps dansant ! Deux autres studios de répétitions, des loges conviviales, claires, silencieuses, autant d'outils qui feront jubiler plus d'un utilisateur. L'environnement est préservé par l'existence d'une verrière et l'aménagement scrupuleux de la cour intérieure - ne l'oublions pas - d'un monument historique. Les petites salles voûtées hébergeront, bureaux, accueil, tandis qu'à l'arrière des bâtiments au volume conséquent serviront la technique, la fabrication et le stockage des décors. En tout 3200 m2 de surface pour 35 millions d'investissement répartis entre la ville de Montpellier (2/3), l'Etat, la Région et le Conseil général. Huit danseurs permanents, une équipe administrative réduite, bien pensée et aux multiples compétences, voilà pour l'entourage de Mathilde Monnier. Geneviève Vincent y pilote, de main de maître, la communication et l'animation. Déjà deux années de présence active de l'équipe artistique de Mathilde Monnier sur le terrain à Montpellier. Le Centre chorégraphique, un "outil" unique en Europe, inséré dans la cité, un lieu radieux, à ne pas en douter, ouvrira à l'automne prochain. Tous les ingrédients y semblent réunis dans la plus stricte intelligence. "Inter - ligérer" : relier les choses les unes aux autres.
Geneviève CHARRAS
Telex Danse
Juillet/Août 1996