Directrice du Centre chorégraphique de Montpellier, Mathilde Monnier s'est associée à l'écrivain Christine Angot (1) pour sa dernière création "Arrêtez, arrêtons, arrête". Avec celle de Bernardo Montet (voir entretien ci-dessous), ces deux confrontations de danses et d'écritures qui convient des écrivains à la lisière du texte et du théâtre tiennent du corps à corps et s'érigent chacune sur de fortes radicalités dont nul ne sort indemne. Dans l'entre-deux, ces rencontres creusent en profondeur les corps comme les mots et font émerger par brusques irruptions la chair à vif du réel. Ce qui se tait, se terre, resurgit dans la matière des mots autant que dans la mémoire des corps. Entre voix et regard, rythme et mouvement, ces deux spectacles touchent aux frontières de l'inavouable ou de l'indicible. Réduits au point le plus singulier de l'individu chez Mathilde Monnier, ouvert à la plus large étendue d'une responsabilité collective chez Bernardo Montet, les états limites repérés par chacun s'accompagnent d'un langage cru, à vif, sans complaisance, chargé de tension, de verticalité et de chute. Comment vous est venu le désir d'en passer par les mots ? L'écriture de Christine Angot va chercher à de drôles d'endroits. Souvent, on passe d'abord par un moment de résistance. Elle fouille là où on n'a pas l'habitude. Ce n'est pas la violence comme on la connaît. La façon dont la réalité et la fiction sont mêlées est également très surprenante. Cela perturbe, dérange. La chose banale en particulier m'intéressait en rapport avec le corps. À l'inverse de toutes les images que l'on peut avoir sur le corps et la danse, en revenir à une forme brute un peu sale me plaisait beaucoup. Là où Christine Angot va chercher en soi, ce n'est pas vraiment beau. Cela traite de ce que personne ne veut entendre ou voir avec toujours un fort travail d'écriture. En parallèle, je peux conduire le processus de construction et de déconstruction de la chorégraphie. Chaque danseur suit le fil de son déséquilibre. Nous avons beaucoup travaillé sur cette posture. Chacun en a fait une danse. Certains ont opté pour la position penchée en avant, en arrière, inclinée sur le côté ou droite comme un i. Pour d'autres, c'était la courbe ou l'ondulation. Cela correspond à la façon dont chacun se positionne par rapport au monde, avec son propre déséquilibre. Les fous ont des postures différentes des gens ordinaires. Dans le corps, quelque chose se dit de la façon d'appréhender ce qui va devant. Le vrai déséquilibre relève de la banalité. Rien à voir avec le désir poétique qui conduit à la forme artistique d'un Artaud. Le délire ordinaire est plus grave. Toucher aux petites obsessions, aux manies de chacun comme le fait le texte est très intéressant. Il y a du déséquilibre aussi entre la danse et le texte. Tous les rapports de la danse et de l'écriture tiennent du combat. Derrière les écrans des mots de Christine Angot, on accède à une forme de lyrisme. Peut-être ce n'est pas immédiat. Il y a d'abord la rencontre de deux niveaux de sens différents, la façon dont les mots font surgir d'autres images, quand déjà l'écriture donne les siennes est passionnante. La rencontre ou l'empoignade entre les mots et le corps déclenche une sorte de troisième sens. Dans cette pièce, j'ai poussé l'écriture chorégraphique au maximum de l'éclatement car le travail me porte de plus en plus à voir l'individu. Je ne me retrouve pas aujourd'hui dans la notion de groupe. Faire danser les gens ensemble n'est pas une nécessité. Il y a un regard, une cohérence globale, mais chacun est concerné individuellement. Le groupe, l'unicité, le noyau, le centre, tout cela m'évoque le totalitarisme. Je préfère l'inverse : l'individu, la déconstruction, les différentes couches, la non-compréhension, l'éclatement. Par cette approche, on rejoint le plus singulier, l'individu au plus près de lui-même, le plus étranger. Mais bien sûr il y a un en-commun dans cette forme, c'est la rencontre au plus près de soi-même et non pas la ressemblance qui rapproche. Cela participe d'un ensemble d'idées qui ont trait à des valeurs humanistes. Je procède de la même façon pour le Centre chorégraphique. Je ne propose surtout pas un discours unique. En revanche, il n'existe plus dans mon travail de différence entre la répétition et le spectacle. Plus d'enluminure, d'ombre, de décor. Ces artifices du spectacle m'apparaissent comme une tromperie sur l'humain. (1) Christine Angot "Léonore toujours", "Interview", "Les autres", édition Fayard


L'Humanité
26 Juin 1997