Deuxième volet atteint, dans une pièce évolutive, qui se fait et se défait Danse . Les lieux de là ouvraient la saison hier soir au Corum En six années à Montpellier, la personnalité de Mathilde Monnier s'est rattachée à des engagements sur des fractures aiguës de la société. Et on a parfois un peu négligé un autre trait essentiel de sa présence : l'identité intense du collectif d'artistes qui l'entoure. Le paysage humain de sa compagnie est à très fort relief ; abrupt ; farouche. C'est un collectif taillé pour la pensée avec le corps en actes ; pas une école reproduisant un style à la demande. Les lieux de là investissent cette complexité sur le plateau. L'écriture évolutive de cette pièce aura demandé deux ans pour parvenir à son terme, par adjonctions, en trois créations progressives. Ce qui sera très bientôt chose conclue, au Théâtre de la ville (Paris). Voilà une pièce qui se développe en mesurant le temps de la réflexion qu'elle induit. Et bien sûr, on est fondé à percevoir le collectif des danseurs comme une métaphore sensible de bien d'autres collectivités. Les questions de la démocratie n'étant, dès lors, pas loin. Le public local découvrait hier soir l'enchaînement de deux premiers volets : 'les non lieux' et 'dans les plis'. Des pièces où on avance dans la tension, en passant par la masse. Cela sur une musique ouverte et retenue, pour un espace vibratoire ; de la répétition savante, au groove distingué par l'orientalisme. Sur un bord de scène, un empilement de cartons où se laisser aller en faisant pouf ; sur l'autre, des panneaux rigides, sur lesquels buter, ou glisser. Décidément, entre les deux l'essentiel se passe. Entre les deux, les danseurs ne se jettent pas avec l'énergie enjouée du bel entrain. Entre les deux, ils cherchent l'autre. Et on ne sait ce qui relève plutôt du jeu, ou plutôt de l'épreuve. Fondation du groupe, nécessaire ; ou émergence de l'unique, irréductible. Tout cela s'approche, se pèse, s'éprouve, s'agrippe, se porte, s'accroche, se supporte, se rejoint, se dépose, s'amalgame, se distingue, s'agrège, se défait, s'amasse, se soutient, se compose, s'écarte, se constitue. Infinie est la variation de cette écriture qui toujours explore le lien. Saisissants, certains tableaux : une chaîne humaine réactive et frêle, par lumière en contre-plongée ; ou une lente mêlée au fond d'un puits lumineux, d'où émergent étrangement en couleurs, ceux qui jusqu'alors allaient vêtus de sombre. Parfois drôle. Toujours gravement engagé. Ce n'est pas baliverne, que d'aborder le choix d'être ensemble ; ou de laisser la fragmentation recommencer. Il fut heureux que cette difficulté tant aimée - hantée par la folie, au vrai - soit exposée sans ambages au public large d'une inauguration de saison.

Gérard MAYEN
Midi Libre
27 Octobre 1999