Un atelier-spectacle en forme d'exercice de style Il y a une telle charge affective en amont de cette création, un tel engagement de la part de la chorégraphe, de ses huit danseurs, qu'on voit sur leurs visages la responsabilité qu'ils ont d'être là. Ils pensent à ceux qui ont inspiré cet Atelier en pièces. Sur les photographies des ateliers menés par Mathilde Monnier avec les autistes de La Colombière, il y a toujours du vide, des regards perdus, ou trop fixes. La tension donne aux yeux des danseurs cette même fixité, ce même sérieux. Le seul qui s'amuse vraiment dans cet atelier-spectacle, conçu en forme d'exercice de style, c'est Benjamin Massé Lassaque. Il est atteint d'un autisme léger. Il parle. Il a écrit les dialogues de cette histoire de Dracula qu'il récite. Il fait l'acteur. Il est heureux. Nous aussi. Les danseurs ont des hauts et des bas, mais ils ont des bonheurs, des fulgurances, qui surviennent à chaque fois qu'ils sont loin des modèles supposés. Chaque danseur, à tour de rôle, connaît un moment de grandeur. Herman Diephuis, à vouloir être trop virtuose dans son numéro d'équilibriste avec verre, en devient touchant. Luis et Rita Quaglia se servent aussi de verres comme s'ils étaient des ventouses capables d'arracher d'hypothétiques sangsues. A moins que ce ne soit la peau. Joël Luecht, couvert de boue, exprime l'ailleurs en faisant rouler une boule dans un sens, puis dans l'autre. On n'a jamais vu ce danseur, excellent, rater son coup. Cela dit, si on ignorait que cette création puise ses racines dans l'observation d'autistes, verrait-on de la folie dans ces corps qui tombent, se frappent au sol, se claquent mutuellement avec violence, se maculent de peinture. Oui, sans aucun doute. Mais on serait moins touché, car cette chorégraphie fonctionne telle une énigme, où il convient de repérer ce qui relève de l'autisme, ce qui n'appartient qu'aux danseurs. Le spectacle est contenu dans une structure blanche, entourée de coulisses, qui font office de chemin de garde. C'est très design pour un hôpital. Et les costumes sont très chics. Blancs avec juste ce qu'il faut de couleurs primaires pour s'accorder avec les peintures dans lesquelles Herman Diephuis trempe ses genoux, puis sa tête. Qu'elle est inquiétante, cette Germana Civera, quand elle danse au ras des spectateurs, les jambes raides, craignant de tomber dans le vide du plateau... La danse autour de l'autisme, du mutisme, est encore à venir. Ce sera la prochaine.

Dominique FRETARD
Le Monde
22 Mai 1996