L'atelier en pièces, sa nouvelle chorégraphie, sera présentée d'ici quelques jours au festival d'Avignon Oil clair, teint pâle, cheveux couleur de paille, Mathilde Monnier est une fille de l'Est. C'est peut-être son origine francomtoise, ce pays où les hivers sont rudes et les étés pleins de coquelicots, qui lui a donné ce visage énergique et cette détermination. Au milieu de la décennie 80, quand elle sortait à peine du Centre national de danse contemporaine d'Angers (CNDC), jeune danseuse parmi une vingtaine, elle frappait déjà par sa concentration. Dans l'ancien couvent des ursulines En la choisissant, Viola Farber, ancienne de chez Merce Cunningham, alors directrice du CNDC, ne s'y était d'ailleurs pas trompée. À peine plus de dix ans plus tard, Mathilde Monnier se retrouvait à la tête du Centre chorégraphique national de Montpellier, l'un des plus importants de France. Ce qu'on appelle une réussite. D'autant que la jeune directrice va disposer, d'ici quelques mois, d'un superbe lieu, aménagé selon les projets de son prédécesseur, Dominique Bagouet, dans l'ancien couvent des ursulines en plein "cour de ville", comme on dit dans la capitale languedocienne. Et que ce nouveau lieu, attendu depuis si longtemps, a tout pour devenir l'un des plus accompli. Réussite décidément remarquable quand on sait que les choix de Mathilde Monnier n'ont jamais été guidés par autre chose qu'une vraie nécessité d'artiste. Après le succès foudroyant de 'Pudique acide', sa première pièce, composée en 1986 avec Jean-François Duroure, elle aurait pu en effet choisir La Paillette. Elle a préféré le monde réel, sa dureté, ses violences. Depuis 'Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt', la première chorégraphie qu'elle signa seule, elle les traduit par une danse haletante, en général frénétiquement servie par des danseurs (notamment Joel Luecht, Herman Diephuis, Rita Quaglia, Eszter Salamon) aussi acharnés qu'elle, et tous très forts techniquement. Parler de la dureté du monde, c'est chercher à y répondre. Avec 'Nuit', sa pièce précédente, elle nous la servait encore "brute de décoffrage". Avec 'L'atelier en pièces', sa nouvelle création, étrennée à Montpellier voici quelques jours, avant d'être présentée au Festival d'Avignon, elle cherche désormais de plus en plus clairement ce que le corps peut faire pour recréer du lien, même - ou spécialement - là où il semble le plus détruit. Pour préparer cet atelier-là, elle a en effet choisi d'aller passer, avec ses danseurs, des jours et des semaines dans un hôpital de Montpellier, et d'y travailler avec de jeunes autistes. Rien de tape-à-l'oil ni de mal venu dans cette démarche. Gestes, attitudes, il suffit de voir la danse pour comprendre quelle intimité s'est développée entre artistes et patients. De tout temps attentif à l'autre, à l'étranger, à ce que la prise en compte de la différence peut nous apporter de renouvellement à nous-mêmes (on pense notamment à tout son travail sur la danse africaine), elle a fait entrer dans 'L'atelier en pièces', un jeune homme autiste, dont la volubilité et l'aisance, confrontées à la fulgurance de la danse, attestent du bon degré de réussite de l'entreprise. Dans sa petite structure de toile grise, une sorte de campement pour 170 spectateurs, répartis, tout près des sept danseurs, sur des chaises de fer posées en rectangle le long des cloisons, la danse éclate en pièces brutes, comme on dit de l'or avant de le tailler. Libre à chaque spectateur de le façonner. La danse entre au couvent . une mission Lorsqu'elles s'installèrent à Montpellier, les ursulines avaient pour mission l'éducation des "jeunes filles déshéritées". Elles s'en acquittèrent jusqu'à la Révolution, époque où le couvent des ursulines devint prison pour femmes. Confié à l'armée avant la Seconde Guerre mondiale, il revient en se vouant à la danse. . un concept Dès son installation dans la ville, en 1980, Dominique Bagouet l'avait souhaité. Il en a pensé le concept avec deux jeunes architectes, Florence Lipsky et Pascal Rollet. Concept repris après sa mort, par Mathilde Monnier, qui lui a succédé à la tête du Centre chorégraphique. Ses caractéristiques techniques en font un lieu exceptionnel. Grand studio : 300 m2, 20 d'ouverture, équipé comme la "boîte noire" d'un théâtre, qui permettra de recevoir 150 spectateurs (gradins amovibles). Deux autres studios de répétition, locaux administratifs et techniques, et climatisation particulièrement performante. Livraison : octobre 1996. Il aura fallu quinze ans.
Chantal AUBRY
La Croix
21 Juin 1996