Ils ont été le couple de l'année 1986. Les voici à nouveau en vedette avec Mort de rire, une création pour six danseurs ouverte à tous les fantasmes. Il a suffit de deux duos, Extasis et Pudique Acide où s'épanouissait leur complémentarité ambiguë pour qu'ils deviennent l'enjeu de tous les paris. Avec de confortables moyens, une compagnie toute neuve (De Hexe), ils proposent un spectacle coproduit avec le Théâtre de la Ville, le Hollande Festival, la Maison de la danse de Lyon, le Festival d'automne, et largement programmé en France et à l'étranger. Autant dire que la première de Mort de rire, au Théâtre municipal d'Angers, était très attendue. La salle est encore éclairée lorsque le rideau s'ouvre sur un plateau obscur. Des flashes crus laissent entrevoir par instants un salon modern style et des corps gisant sur le sol. Plongés dans on ne sait quel rêve, ils se retournent, s'agitent, tandis que des bribes de rapsodie hongroise luttent avec une tempête de sons répétés jusqu'à l'obsession. La référence à Pina Bausch va de soi et aussi parfois à François Verret. Ce n'est pas gênant. Mathilde Monnier et Jean-François Duroure ont vécu chez Pina et chez Verret des expériences où ils s'investissaient totalement, qui sont inscrites en eux. Ils les prolongent aujourd'hui mais dans un autre esprit, plus humoristique, plus léger. Mort de rire marque leur désir de prendre du recul. Le spectacle a été conçu dans le plus grand secret au cours d'une résidence au CNDC d'Angers. Les conditions de travail offertes aux chorégraphes invités, l'enfermement en dehors de la vie réelle, semblent exacerber les fantasmes. Il y eut Régine Chopinot et ses " Rossignols " cascadeurs, Daniel Larrieu lâchant ses danseurs dans la piscine de Waterproof ou Karine Saporta acharnée à mettre l'amour en cage. Mort de rire est un huis clos dans une chambre cernée de projecteurs, dont le tapis de sol suggérant un entrelacs en relief d'iles et d'eau favorise les évasions. Un collage de chants russes, de mélodies populaires, d'accordéon asthmatique, entraine les danseurs dans une suite d'actions insolites. Ils sont tour à tour, poissons, nageurs, selon l'imagination du spectateur. A quelques moments ont retrouve les Monnier-Duroure de Pudique Acide, ne serait-ce que dans les costumes masculin-féminin (pantalons à bretelles et soutiens-gorge pour tout le monde) ou dans une danse particulièrement gigotée qui rappelle le caractère " Valentin le désossé " de Jean-François Duroure. Le spectacle est en principe une oeuvre collective où interviennent largement les lumières d'Eric Wurtz, maitre dans l'art du trompe-l'oeil, et la scénographie _ très présente _ de Brigitte Scarpatto. L'absence de Jean-François Duroure en tant que danseur est fortement ressentie. Elle lui permet un regard extérieur qui lui sera très précieux dans les mois à venir pour polir un spectacle séduisant mais encore flottant. * Mort de rire sera représenté à la Maison de la danse de Lyon du 14 au 17 avril, à 20 h 30.

Marcelle MICHEL
Le Monde
14 Avril 1987