Quand L'expérimentation débouche sur la jubilation Dés les premiers découpages de lumière - magnifique - on sent que ca ne sera pas banale : François Verret, danseur, préfère s'occuper à pincer la corde d'un instrument inconnu. Mathilde Monnier, danseuse, préfère chanter une rengaine. Jean-Pierre Drouet Musicien, est plus dans son rôle ; mais déjà avec assez de rondeurs palpables pour qu'on sentent qu'il ne tardera pas à déborder malicieusement. Il y a aussi un engin, un grand mécano de bois, machine à musique inventée par Claudine Brahem. Il y en aura plusieurs autres au cours du spectacle, qui se déploient, se désarticulent ; qui frappent, grondent, claquent. On entend aussi, dite par les interprètes qui la lancent dans l'espace, beaucoup de poésie, de l'auteur roumain Gherasim Luca : ses mots se répètent, des bouts de phrases se chevauchent, la syntaxe pivote. Or, toute la structure, du spectacle " Qui voyez-vous ? " est à cet image : indisciplinée, chercheuse, articulée sur des points de rencontre ; points où des fragments se chevauchent, où se déclenchent des échappées, et des précipitées. Cette dynamique de savants fous, cette expérimentation fantaisiste, offrent tout, sauf un cadre dramaturgique préconçue en dehors du plateau. L'oil de spectateur y perd beaucoup de ses repères. Mais alors le regard n'en devient que plus intense, porté sur des éclats d'émotion. Par exemple, sur la danse de Mathilde Monnier - devenue très rare, comme c'est le cas de nombreux chorégraphe. Elle danse à l'image de se qu'on décrivait déjà plus haut : près de ce désarticuler, en heurtant les propositions. On y voit de la fureur travailleuse en recherche : radioscopie des énergie, entomologie de segments du corps, schéma d'arcs en tension. La poésie dit : " la pensée tourne sur elle-même, avec une frénésie statique, comparable au ver de terre sous un talon haut ". C'est ainsi qu'au lieu de travailler déplacements rythmes, la danseuse creuse en elle-même, harcèle les lois de l'équilibre jusqu'au bord de la chute, et voudrait labourer le plancher à la force de ses genoux. Là elle est ahurissante. Dépensière sans compter d'un profil économe, Mathilde Monnier repousse loin les limite de son corps d'apparence frêle. Parfois dans le champ de l'expression contemporaine la notion de " prise de risque " semble une formule galvaudée ; cache sexe des conforts institutionnelles, alibi de prises du public en otage. Au contraire, " Qui voyez-vous ? " donne à cette notion la force d'une rigueur impétueuse. Tempête au cour de soi.

Gérard MAYEN
Midi Libre
21 Novembre 1997