La chorégraphe présente, à Paris, la deuxième partie de " Les lieux de là " " Les lieux de là " est une pièce évolutive, dont Mathilde Monnier créait la première partie (Les non lieux), au dernier festival de Montpellier - Danse. La deuxième partie (" Dans les plis ") est proposée au Théâtre de la Ville du 6 au 10 avril. La troisième partie sera vue au Corum à l'automne. La chorégraphe est par ailleurs à l'honneur de la chaîne Arte, le 14 avril (émission Musica) et de Franc Culture, le 7 avril, à 18h. Midi libre : La singularité de " Dans les plis " repose, semble-t-il, sur la participation du spectateur. Mathilde Monnier : Deux termes permettent de définir cette pièce. Le terme de matière, le terme d'expérience vécue. D'un côté, le spectateur est appelé à éprouver la matière même de la danse, la manière dont elle est générée par le mouvement ou l'immobilité des corps ? De l'autre côté, il y a lieu de la part des danseurs, un investissement très personnel dans le processus de fabrication, qui les a amené à expérimenter ce qu'ils voulaient montrer, à partir d'un travail intense d'improvisation. M-L : Quelle pensée sous-tend ce travail ? M.M. : Je voulais réinterroger le rapport de l'individu avec la notion de masse, que l'on peut interpréter comme une interrogation sur la notion de collectivité. Il me semble nécessaire de reconsidérer cette pensée du collectif, par ce qu'elle offre la seule expérience possible de la démocratie, de la liberté et du respect de l'autre. Je me suis inspirée en cela du livre d'Elias Canetti : " Masse et Puissance ". Le terme de " masse " contient plusieurs significations. On peut penser à des acceptions péjoratives du terme : la notion de masse indifférenciée, par exemple. Il est clair que l'individualisme de notre temps résiste à l'orientation qui est ici proposée. Mais il n'y a pas de choix pour l'individu ; il doit cohabiter avec la masse des autres. J'ai justement travailler sur la question de savoir quelle est la part de nous-mêmes que l'on va abandonner au nom du collectif, quelle part va, au contraire, résister, mais de l'intérieur. Je crois peut-être possible de penser que la masse est un addition de singularités qui peut parvenir à l'harmonie. M-L : Vous êtes retourné pour cette pièce à un dispositif scénique plus traditionnel, et bien différent que celui que l'on a pu observer dans " l'atelier en pièces " et " Arrêtez, arrêtons, arrête. " M.M. : Le projet s'y prêtait, ainsi que le nombre des danseurs. Il devrait être cinquante et un dans la troisième partie de la création que je présenterai à l'automne. Je voulais ainsi que les gens aient une distance vis-à-vis du spectacle, faire appel à leur conscience autant qu'à leur émotion. Qu'on arrête aussi de croire que je ne peux pas être gaie. Le groupe génère aussi du bonheur. M-L : Sur le plan esthétique, on vous trouve dans cette création, très attirée du côté de l'abstraction et de l'informel. M.M. : Je travaille sur les limites entre la forme et l'informe. Non pas pour en faire une synthèse, mais parce que les deux tendances sont apparues dans mes créations antérieures. J'aime l'expression organique des corps, mais je suis aussi très respectueuse des structures. J'ai moins de culpabilité vis-à-vis des deux tendances aujourd'hui. M-L : Lorsque vous évoquez la question du collectif pour cette pièce, on ne peut s'empêcher de penser à la création du " collectif du 20 mars " à laquelle vous avez participé activement pour s'opposer à la présence du Front National au sein du Conseil Régional. Où en êtes-vous vis-à-vis du vote récent de cette instance qui a supprimé les subventions du Centre chorégraphique ? M.M. : Je ne souhaite pas profiter de cette " affaire " pour m'afficher personnellement. Je parlerai donc au nom du collectif. La convention que propose Jacques Blanc est insignable telle qu'elle est. On demande à des artistes ce que l'on ne demande à personne d'autre, c'est-à-dire l'allégeance politique. Je suis d'accord, par contre, pour signer un cahier des charges, comme j'en ai signé avec l'Etat, à partir d'objectifs de travail et non pas au nom d'une idéologies. Propos recueillis par Lise Ott SECRET ET OUVERT A L'AUTRE Repli sur soi et ouverture à l'autre et au groupe dessinent la ligne maîtresse de " Dans les plis ", 2me partie des " Lieux de là ". Si la 1re partie présentée, été 98, insistait sur des figures d'éclatement, cette dernière partie sur la recherche de soi. Un pari difficile qui a exigé des danseurs autant d'abnégation que de générosité. Autant de douleur que de bonheur. Le résultat est à la hauteur. Mathilde Monnier est entrain de se dégager de cette orientation du côté de l'autisme qui avait caractérisé ses précédentes créations. Plus étoffé aussi que dans la première partie, " Dans les plis " rassemble un groupe de douze danseurs, auxquels se sont joints, notamment, Dimitri Chamblas, Michèle Prélonge, sour de Régine Chopinot, Bertrand Davy et Julie Limont, deux nouvelles recrue, dont la jeunesse égale le talent. L'homogénéité de l'ensemble constituant sans doute un autre des signes forts de cette création. Certaines compositions exigent en effet des rapports d'amitié et de confiance qui laisse pantois, par leur qualité émotionnelle. La musique, composée par Heiner Goebbels insiste, sur une poétique mélancolique de l'instant.


Midi Libre
4 Avril 1999