La chorégraphe et ses danseurs s'amusent des poncifs de la danse moderne. Et font ouvre nouvelle Créée mercredi dernier au Corum, sous une forme remaniée depuis sa première présentation à la Sofiensâle de vienne, pour le festival de danse, Signé, Signés est une pièce provocante. Tout le contraire du spectacle de mode culturellement correct. Mais sa nouveauté, la générosité qui s'y déploie, son désir d'y être plus juste que performant, outre sa (trop ?) grande modestie, certes rehaussée d'humour, a soulevé l'adhésion. Et ce, en dépit de résistances provoquées par de plus sombres et délicats passages. De fait, c'est un cri d'oiseau. Première phase - une sorte d'ouverture plus courte que la seconde partie de la soirée : le cri s'étire avec l'élasticité contorsionnée de Rémy Héritier, nouveau venu dans la compagnie, et seul sur scène pour habiter tout le désert qui l'entoure. Vient de rejoindre plus tard un Joel Luecht longiligne, avec qui se forme et se déforme un duo d'échassiers. Peu à peu apparaissent dans le décor des comparses ailés, enfermés dans des cages, qui piaillent en désaccord. Tandis qu'eRiKm, au son, orchestre un flot continu, surgissant et sans fin. La vidéo de Karim Zeriahen capte plumes et becs répercutés sur des écrans. Histoire, couleurs Pop Art. Le cri s'enfle avec l'entrée des autres - Dimitri Chamblas, Bertrand Davy, et Mathilde Monnier. Au gré de hasards merveilleux, ça clignote sur les moniteurs, ça siffle et ça grésille en fond sonore. Des couples se font, écrasés, perdus, et se retrouvent. On est au Galapagos avec les fous de Bassan, dans une colonie de manchots en Terre Adélie. Une ronde poétique et pasolinienne termine, avec le piano de Satie, non pas l'hommage, mais les souvenirs tendres, que la chorégraphe dédie à Cunningham et à son ami disparu John Cage. Seconde phase : le cri d'oiseau crisse, crépite. Ça craille un peu par ci et ça craquète aussi. Corneilles, cigognes et grues se sont emparées des corps de quatre individus. Leur seule crainte ? Ne pas parvenir à échapper à la cible, mouvant sur fond de latex tendu, qui les traque et les dévoile - oil de bouf et anamorphose en diable. Il s'agit de payer de son corps - voix réduite à de grotesques interventions morales, qui ont l'impudeur des secrets d'alcôve. Ou des cours de danse. Rémy Héritier nous la joue vaporeuse et perverse. Dimitri Chamblas assume, à muscles éplorés et puissance orgueilleuse, le rôle du meneur. Difficile d'être davantage à contre-emploi. Bertrand Davy, moins disert mais cruel, déchiquète des " gymnopédies " à la chaplin. Herman Diephuis, enfin, insuffle avec ironie cette idée toute bête qu'il n'y a pas de raison, parce qu'on peut faire ce qu'on veut de son corps (y compris le phoque amoureux de lui-même), d'en tirer avantage pour manipuler les yeux. Même si ce n'est pas mal du tout. Drôles d'oiseaux, oui, sensibles, sans doute, mais pas idiots.

Lise OTT
Midi Libre
Vendredi 16 Mars 2001