En remontrant " Pour Antigone " au Corum, en présence de Catherine Trautmann, Mathilde Monnier fait entendre avec succès les leçons d'un mythe qui n'a pas pris une ride, quatre ans après sa création cour Jacques-Cour Parlera-t-on jamais des tempos des festivals de danse ? En ont-ils ? Est-ce une question qui a un sens ? La danse est-elle dans le rythme et dans quel temps ? hier, aujourd'hui, demain ? Ou intemporel ? Le temps de la couche d'ozone, de la mondialisation et du clonage ? Ou de l'éternité humaine : sentiment, émotion, désirs ? Questions difficiles ? Epoque qui ne l'est pas moins, se la joue, a besoin de grands chocs : Mondial et chorégraphies qui prennent à cour. Quelles qu'elles soient : sport, danse, mouvement pour sortir de blues - morosité fin de siècle, qui peut être forcément chic, romantique à ses heures. " Pour Antigone " ne joue pas sur ce terrain-là. N'a pas le tempo des machines pensantes et glacées qui gouvernent le monde. Fait dans la révolte constructive, sort des repères et de la convention, construit une identité : rébellion, action, sur l'instant, à tout prix, mais pas n'importe comment. Convoquant les cultures : celles de sa chorégraphe, entre références à la danse expressionniste allemande et aux performing danses américaines. Celle de l'Afrique, sensualité et humilité ancrées dans la terre. Pour le dire : le martèlement des gestes, des pieds, sauts à la volée, vrillés, précipitations bien pensées, grandes plages de lumière (aux manettes, Eric Wurtz, avec doigté) qui fait zapper les lumières sur les tôles ondulées. Idée d'Annie Tolleter pour un décor qui arrête toute sublimation, casse chaque velléité de douceur sans objet et fade comme une redite. Tendresse - Antigone a grandi. Tout comme la burkinabé Balguissa Zoungrana qui, à 17 ans (elle en avait 13 lors de la création), danse l'adolescence du refus et découvre le rythme des sens et du corps. Contre toute censure. Le plus fort, c'est que c'est contagieux. Pas un ne faillit à ses côtés, danseur jusqu'au bout de sa culture, écrivant une histoire à deux - Burkina-France, contre l'indifférence et l'effacement de la mémoire, dans le battement des jumbés (le malien Zani Diabaté dans la clarté d'un beat sonore). Et là des images qui surgissent comme sans crier gare. L'air tranché en muscles et en élongations (Boro/Chamblas), l'humour et la voltige (Sanou/Luecht). Communauté des filles - le féminin sensuel (Kouyaté/Yaméogo) et la femme guerrière (Garcia/Salamon/Civera). Toutes danses liguées : classique, moderne, africaine. Dans " Pour Antigone ", Mathilde Monnier a raison : rien ne sert de frémir, il faut danser à temps.

Lise OTT
Midi Libre
9 Juillet 1998