Surrogate Cities

Un opéra d’Heiner Goebbels, composé en 1996, met en jeu une chorégraphie de Mathilde Monnier entourée de différentes communautés berlinoises.

A Berlin, l’espace surabonde. Tout le contraire d’une capitale comme Paris où la promiscuité urbaine s’illustre par l’image d’une chambre de bonne sous les combles. Il est vrai qu’à Berlin l’histoire récente se caractérise par l’augmentation de la superficie de la ville après la chute du Mur en 1989 et la réunification de l’Allemagne. C’est dans ce contexte que la chorégraphe Mathilde Monnier a mis en scène Surrogate Cities, un opéra d’Heiner Goebbels composé en 1996 et interprété par l’Orchestre philharmonique de Berlin sous la direction de sir Simon Rattle. Lors de sa nomination il y a six ans, ce dernier a initié un programme social qui consiste à faire travailler professionnels et amateurs pour un projet commun : un opéra chorégraphié par des artistes invités à travailler avec différentes communautés berlinoises. Salle Arena, le millier de spectateurs s’installe sur des gradins encerclant l’immense surface scénique où trônent, en son centre, les cent musiciens du Philharmonique. Bruissante, trépidante, la musique instaure un déferlement de sensations – multitude, vitesse, solitude, pression, crispation, promenade, fuite – où viennent s’inscrire les corps des danseurs, âgés de 7 à 77 ans, qui déboulent en tenue de ville et entourent l’orchestre en crayonnant au sol des trajectoires multiples. Deux pôles sont à l’œuvre dans l’organisation et l’investissement de l’espace, l’un reposant sur l’imaginaire des enfants face à la ville, l’autre consistant à la représenter à travers divers groupes d’ados, d’adultes et de personnes âgées : pratiquants d’arts martiaux, de danse, de sports… La diversité des postures corporelles et des actions, que les cent trente amateurs décryptent sur des prompteurs, invite à une vision plurielle et subjective de la ville. S’y confrontent le désir de possession et le sentiment d’impuissance, l’attachement et le rejet.  Ou le soutien : à l’issue d’un texte d’Heiner Müller intégré à l’opéra, Rome et Alba, qui raconte la guerre entre deux villes, les danseurs aux cheveux blancs valsent à leur guise puis s’abandonnent aux bras de leurs partenaires dans une chute suspendue, étourdissante de tendresse. La ville, c’est un espace inventé pour et par les humains, l’aurions-nous oublié ?

Fabienne Arvers
les inrockuptibles
Du 12 au 18/02/08