Gustavia, hasarde La Ribot, « c’est un clown sexuel, une comtesse du lac Léman, une amazone futuriste ». En complicité avec Mathilde Monnier, elle forme un duo hilarant qui laboure allégrement le champ trop déserté du burlesque.

Parler de Gustavia, c’est parler du burlesque dans un espace où il existe peu. Allez donc savoir pourquoi les francophones savent si mal jouer du slapstick, tresser les registres tragique et comique, donner du corps pour amuser l’esprit. On cherche en vain, au pays de Molière et du vaudeville, des compagnons d’inventivité aux Deschamps. Même chez les dramaturges, l’humour est rare, le plus souvent discriminant. Car faire rire au théâtre dans la langue de Racine, c’est tout de suite louche, boulevard, série B, plébéien.
Gustavia explose dans ce silence de la comédie. Une explosion douce, élégante, jouissive, au cœur d’une boîte ténébreuse, car la leçon de Buster Keaton est entendue ici : le burlesque passe par la neutralité, l’impassibilité. Là s’activent des jumelles, justaucorps noir sur fond noir, tout en jambes et en pleurs, formidablement complices.
Le spectacle ose le gag tout en l’inscrivant dans des codes contemporains, ce qui en change la nature même : comique de répétition, maladresses, obsessions triviales. Gustavia ou comment donner un coup de frais au bricoleur qui balance sa planche dans la tête de l’autre à chaque changement de direction.

Le dérisoire de la scène
Il faut ici saluer cette belle obstination de Mathilde Monnier à chercher de l’autre au seuil de chaque nouvelle création. A se glisser dans des disciplines voisines pour y trouver un philosophe, un auteur ou un chanteur pop. Dans Gustavia, elle fait tandem avec La Ribot, chorégraphe et performeuse très influencée par les arts plastiques. Interprète dont on savait bien, en tout cas depuis ses Piezas Distinguidas, la verve drolatique.
Ensemble, elles nous offrent ces trois opérations qu’on trouve rarement conjointes : rêver, rigoler, réfléchir. Car ce qu’elles manipulent, ce sont les vicissitudes de nos existences involontairement clownesques. Des actes renvoyant à nos absurdités fondamentales, fût-ce autour d’un genou obsessionnellement dénudé. Pourtant, Gustavia ne fonctionne pas seulement sur un rire métaphysique. La soirée active aussi un rire social lorsqu’elle fait sentir à quel point la réalité du théâtre, de la danse est socialement dérisoire. Il y a là des tentatives, des échecs, des mini-victoires, et du rire pour perdurer.

Michèle Pralong
Journal de l’ADC
Janvier 2009